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L’Orfeo Claudio Monteverdi
Carte d’identité de l’œuvre : L’Orfeo de Claudio Monteverdi |
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Genre | opéra |
Librettiste | Alessandro Striggio, d’après les Métamorphoses d’Ovide |
Langue du livret | italien |
Composition | en 1607 à Mantoue (Italie) |
Création | le 24 février 1607 au Palais ducal de Mantoue |
Forme | opéra en un prologue et cinq actes |
Instrumentation (variable selon les sources) | voix : solistes et chœurs bois : 2 flûtes à bec cuivres : 5 trompettes (avec sourdine), 2 cornets à bouquin, 5 trombones percussions : timbales cordes : 2 violons I, 2 violons II, 2 pochettes (violons piccolos), 2 altos I, 2 altos II basse continue : 3 violes de gambe, 2 basses de viole, 2 contrebasses de viole, 2 clavecins, 2 orgues positifs, 1 ou 2 orgues régales (à anches), 3 chitarrones, 3 cétérones (cistres basses), 1 ou 2 harpes doubles |
Contexte de composition et de création
L’Italie du XVe siècle est un territoire divisé en plusieurs principautés rivales : la République de Venise, le Duché de Milan, la République de Florence, les États de l’Église, le Royaume de Naples... À leur tête, de grandes familles qui ont fait fortune dans le commerce, la banque, la guerre, entrent en concurrence pour montrer leur puissance, notamment à travers les arts. Ainsi, cette époque connaît un épanouissement artistique sans pareil.
6 octobre 1600. Le duc de Mantoue, Vincent Ier de Gonzague, assiste au mariage de sa belle-sœur Marie de Médicis et d’Henri IV à Florence. Au programme des festivités, l’opéra de Jacopo Peri, Euridice, l’un des premiers du genre. Bouleversé par cette œuvre d’un style nouveau, le duc ne souhaite plus qu’une chose : présenter à sa propre cour un spectacle similaire mais de meilleure qualité. Il demande immédiatement à Monteverdi, son maître de musique, de lui écrire un opéra. Sur un livret d’Alessandro Striggio, conseiller du duc, le compositeur livre L’Orfeo, représenté au Palais ducal de Mantoue en 1607. La partition sera imprimée à deux reprises et diffusée hors de Mantoue. Un véritable acte de propagande !
Entre retour aux sources et modernité
Le XVIe siècle est également l’époque de grands bouleversements économiques, sociaux, scientifiques (l’imprimerie de Gutenberg, les grandes expéditions, la révolution copernicienne...). Les intellectuels, philosophes et artistes lisent les écrits de l’Antiquité et s’en inspirent pour forger de nouvelles idées humanistes : en replaçant l’Homme au centre de la pensée, ils affirment leur confiance dans le progrès, dans l’être humain, et dans son perfectionnement par la connaissance et l’éducation.
Avec L’Orfeo, Monteverdi s’inscrit dans ce mouvement humaniste. Le sujet est tiré des Métamorphoses d’Ovide, dans lesquelles Orphée, incarnation du poète-musicien, assure l’harmonie de l’univers. La forme de l’opéra, un prologue et 5 actes, se réfère à la structure des spectacles de l’Antiquité : cinq épisodes symétriquement organisés autour de l’apogée central de l’acte III (la démonstration du pouvoir de la musique par Orphée aux enfers), encadré par deux « péripéties » (les deux morts d’Eurydice). Comme dans le théâtre antique, le chœur, ici constitué de bergers et de nymphes, chante et commente l’action. Il intervient à la fin de chaque acte en guise de conclusion.
Mais Monteverdi ne reste pas tourné vers le passé et fait preuve d’innovation et de modernité dans son écriture musicale. Il indique avec précision les instruments de l’orchestre (ce qui est inhabituel pour l’époque), minutieusement choisis à des fins dramatiques : la flûte pour les scènes pastorales, les cornets et saqueboutes pour les enfers, les cordes pincées pour l’harmonie céleste ou l’orgue pour évoquer la mort. Il fait aussi cohabiter deux styles d’écriture : la polyphonie et la monodie accompagnée, propice à une cohésion texte/musique.
Focus sur quelques moments clés de l’œuvre
La Toccata
L’opéra débute par une fanfare. À l’époque, les ensembles de trompettes jouaient lors des cérémonies telles que les couronnements. Ici, cette fanfare est le symbole de la puissance des Gonzague. Monteverdi précise qu’elle doit se jouer avant le lever du rideau. Ce rituel perdure ensuite à l’opéra, où l’ouverture se joue habituellement rideau fermé.
La ritournelle
Une ritournelle à l’ambiance changeantejouée par différents groupes d’instruments sert de lien avec le Prologue, durant lequel un personnage allégorique, La Musica, salue les nobles commanditaires de l’œuvre et raconte l’histoire qui va suivre.
Lamentation d’Orphée « Tu se’ morta, mia vita, ed io respiro? » (acte II)
À de nombreuses reprises, Monteverdi a recours au figuralismel’évocation musicale d’un sentiment ou d’une idée dans cette lamentation d’Orphée. La mélodie, au caractère recueilli, librement déclamée, suit les inflexions de la phrase parlée.
Tu se’ morta, mia vita, ed io respiro?
Tu se’ da me partita
Per mai più non tornare, ed io rimango?
No, che se i versi alcuna cosa ponno
N’andrò sicuro a’ più profondi abissi,
E intenerito il cor del Re de l’Ombre
Meco trarrotti a riveder le stelle:
O se ciò negherammi empio destino
Rimarrò teco in compagnia di morte,
A dio terra, a dio Cielo, e Sole a dio.
Tu es morte, ma vie, et je respire encore ?
Tu m’as quitté
Pour ne plus jamais revenir, et moi je reste ?
Non ! car si mes vers ont quelque pouvoir,
Je descendrai sans crainte aux plus profonds abîmes,
Et après avoir attendri le cœur du Roi des Ombres,
Je te ramènerai avec moi pour revoir les étoiles :
Et si un destin impie me refuse cela,
Je resterai avec toi en compagnie de la mort,
Adieu terre, adieu ciel, et soleil, adieu.
La musique met en évidence la douleur en s’attardant sur les mots les plus évocateurs : Tu (Toi), morta (morte), vita (vie), respiro (respire) sont tous chantés sur des notes aux valeurs longues. De même, le silence éloquent d’Orphée suivant le mot morta souligne l’incrédulité du personnage, face à l’annonce de la mort d’Eurydice.
La mélodie sombre ensuite progressivement dans les graves, lorsqu’Orphée évoque les profonds abîmes.
Entre espoir et résignation, Orphée promet à Eurydice de la ramener des enfers pour retourner voir les étoiles, le stelle, terme chanté dans le registre très aigu. Ce moment de douceur rappelle l’amour qu’il porte à sa femme.
Le répit est de courte durée, puisqu’il suggère aussitôt de l’accompagner dans la mort.
Tout au long de l’air, le soutien instrumental est assuré par l’orgue et un instrument à cordes pincées qui jouent une basse continueL’instrument développe des accords à partir d’une ligne de basse écrite..
Chœur des nymphes et des bergers « Ahi caso acerbo » (acte II)
Ahi caso acerbo, ahi fato empio e crudele!
Ahi stelle ingiuriose, ahi Cielo avaro!
Non si fidi uom mortale
Di ben caduco e frale
Che tosto fugge, e spesso
A gran salita il precipizio è presso.
Hélas, amer destin ! Hélas, sort barbare et cruel !
Hélas, étoiles impitoyables, Hélas, ciel avare !
Qu’aucun mortel ne se fie
Au bonheur fugace et fragile
Car très vite il fuit et très souvent
Le précipice est proche du sommet.
À l’instar de la tragédie grecque, le chœur commente l’action. Malgré une polyphonie qui brouille la compréhension du texte, certains mots, repris en imitationLes voix entrent sur un même motif musical mais successivement et de manière rapprochée. à différentes voix, ressortent comme ici Ahi (Hélas).
Après une section plus homorythmiqueToutes les voix chantent ensemble le même rythme., les voix reprennent le procédé d’imitation sur il precipizio (le précipice), avec une mélodie qui descend brusquement, telle la chute dans le précipice.
Auteure : Sylvia Avrand-Margot