script
Page découverte
Incontournable du Musée
Croix sonore
Alors qu’elle trouve un large écho dans la presse des années 1930, la Croix sonore est aujourd’hui assez méconnue. Cet instrument de musique électronique, construit à un seul exemplaire, a pourtant, dès son apparition en 1932, largement contribué à la reconnaissance de son concepteur, Nicolas Obouhow (1892-1954), compositeur russe installé en France en 1919.
Croix sonore
Croix sonore, Nicolas Obouhow ; Jean-François Dusailly ; Michel Billaudot | |
Numéro d’inventaire | D.Mus.1099 (Dépôt de la Bibliothèque-musée de l'Opéra) |
Année de fabrication | 1932-1934 |
Lieu de fabrication | Paris, France |
Vue de l’œuvre
Description
Cet instrument électronique se compose d'une croix, formée de branches verticales en laiton et de branches horizontales nickelées. Ces dernières dissimulent un condensateur, formant antenne, relié à l’électronique de l’instrument par un fil électrique inséré dans le tube vertical.
Au centre de la croix, une rose est entourée d’une étoile à douze branches, alternativement dorées et argentées, qui symbolise certainement le système à douze sons d’Obouhow.
La sphère renferme, quant à elle, la partie électronique de l’instrument. Constituée uniquement de laiton, elle porte l’inscription, en français et en russe : « LA CROIX SONORE ». L’analyse du bloc électronique montre que le principe de fonctionnement de la Croix sonore est identique à celui du Theremin.
Entrée au Musée
Donnée à la Bibliothèque nationale de France en 1966, la Croix sonore a été conservée par le département de la Bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris, avant d’être déposée au Musée de la musique en 2009.
Technique de jeu
La Croix sonore a été presque exclusivement jouée par Marie-Antoinette Aussenac de Broglie (1883-1971). La musicienne varie la hauteur du son en approchant la main droite du centre de la croix, tandis que la main gauche agit sur le variateur de volume.
Restauré en 2010 au laboratoire de recherche et de restauration du Musée de la musique, l’instrument n’a pu être remis en état de jeu en raison, entre autres, de l’état d’obsolescence très avancé des composants électroniques.
La quête de nouveaux timbres
Plongée dans l’oubli pendant plusieurs décennies, l’œuvre d’inspiration mystique et religieuse d’Obouhow (il a signé certaines de ses compositions « Nicolas l’illuminé ».) fait aujourd’hui l’objet d’une attention particulière, notamment Le Livre de Vie, (1925-1928), opus monumental et dont l’exécution devait durer une journée entière.
Plusieurs travaux récents montrent le caractère novateur de l’écriture d’Obouhow, fondée sur un système dodécaphonique conçu par le compositeur dès les années 1910.
Ces études ont également souligné la modernité de son instrumentation, notamment par le recours à des sonorités inouïes pour l’époque, qu’elles soient émises par des sources sonores traditionnelles, telles que le piano ou la voix, ou des instruments électroniques, comme les ondes Martenot ou la Croix sonore.
Deux instruments précurseurs : le Cristal et l’Éther
Bien qu’occupant une place centrale dans l’œuvre du compositeur, l’histoire de la Croix sonore est nimbée d’un certain mystère, souvent entretenu par le compositeur lui-même.
Boris de Schloezer, critique musical, décrit dès 1921 dans la Revue musicale, puis plus tard en 1925 dans l’Encyclopédie de la musique et Dictionnaire du Conservatoire d’Albert Lavignac, deux instruments inventés par Obouhow, le Cristal et l’Éther, qui semblent, surtout pour le second, préfigurer la Croix sonore : « Le premier doit être un instrument à clavier du genre du celesta, les marteaux frappant sur des globes de verre ; le second sera un instrument à vent d’un genre spécial : une roue à palettes, tournant à l’air libre, produira un son se rapprochant du bourdonnement ».
À cette époque, Obouhow les imagine mais ne les a pas encore construits et ces deux instruments ne s’apparentent pas à la lutherie électronique.
L’avènement des musiques « éthérées » et la rencontre avec Marie-Antoinette Aussenac de Broglie
Pianiste concertiste renommée, Marie-Antoinette Aussenac de Broglie est l’une des premières, parmi les musiciens, à s’être intéressée aux nouveaux moyens d’expressions offerts par les instruments électroniques.
En décembre 1927, Lev Termen (1896-1993) présente à Paris sa nouvelle invention : un instrument joué sans contact entre le musicien et l’appareil (le theremin). Quelques mois plus tard, en février 1928 c’est au tour de Maurice Martenot (1898-1980) de montrer ces Ondes musicales. Ces concerts-démonstrations – on parle de « musique des ondes éthérées » - connaissent un succès retentissant.
C’est sans doute grâce à M.-A. Aussenac qu’Obouhow découvre ces deux nouveaux instruments qui vont jouer un rôle déterminant dans la mutation de son œuvre. Elle rencontre Obouhow en 1929, vraisemblablement par l’intermédiaire de Maurice Ravel. Dès lors, elle met ses talents d’ondistes au service quasi-exclusif de la musique d’Obouhow et assure vraisemblablement un soutien moral et financier au compositeur, ce qui aurait permis la réalisation de la Croix sonore.
L’Éther devient la Croix sonore
La parution à l’été 1932 du livre de Carlos Larronde Le Livre de Vie de Nicolas Obouhov nous renseigne sur l’œuvre éponyme du compositeur et également sur son accompagnement scénographique et instrumental. Le symbole de la croix est omniprésent. Au centre d’une croix orchestrale composée d’instruments à vents, à archet, à percussions, à pédale, se tiennent des instruments de type « étherophone », dit Éther. Ce nouvel Éther, par sa forme de croix, constitue bien la première version de la Croix sonore. Il a été construit par « l’ingénieur Dusailly, » (La Gazette de Liège, 07/11/1932). Il pourrait s’agir de Jean-François Dusailly (?-1978 ?).
La Croix sonore, instrument radiophonique
C’est en 1934 que l’instrument prend une configuration plus conforme à celle que l’on connaît aujourd’hui, une sphère ayant été substituée au socle parallélépipédique de la version de 1932. Sa présentation au public bruxellois en février 1934 (en mai pour le public parisien) est annoncée dans la presse locale, nationale et internationale. L’appellation « Croix sonore » est retenue par les observateurs. Un article de V. Lomy, du magazine Radio Belgique (11/03/1934) mentionne le nom de Michel Billaudot (1909-1984) pour la conception du système électronique.
S’ensuivent une série régulière de concerts, organisés pendant trois années à Paris, en province comme à l’étranger, la réalisation de deux documentaires par Germaine Dulac, un disque gravé par la maison Pathé en janvier 1935 d’œuvres d’Obouhow, entendu jusqu’à la maison blanche à Washington. Ces évènements offrent à l’instrument une reconnaissance certaine.
Surtout, l’essor considérable de la radio pendant cette période va favoriser la diffusion de l’œuvre d’Obouhow : 15 000 personnes entendent M.-A. Aussenac interprétée Le Tout Puissant bénit la Paix d’Obouhow à Verdun, dans la nuit du 11 au 12 juillet 1936 lors d’une cérémonie radiodiffusée.
L’année suivante, le 21 novembre, le public de L'Exposition internationale des arts et techniques peut apprécier des compositions pour Croix sonore, chant et double piano.
Désaffection de la Croix sonore
Il semble qu’après 1937, la Croix sonore soit de moins en moins jouée malgré l’annonce en mai 1939 de la fabrication d’une nouvelle Croix sonore perfectionnée. Les concerts des 3 et 24 juin de la même année, constituent les dernières mises en jeu publiques de la Croix sonore.
Malgré ses qualités musicales qui, si l’on en croît les observateurs de l’époque, étaient supérieures aux instruments du même type, la Croix sonore n’a pas pu être utilisée par d’autre musiciens que M.-A. Aussenac, ni n’a pu nourrir l’imaginaire de compositeurs autres qu’Obouhow.
EXTRAIT DU LIVRE DE VIE D'OBOUHOW
Marie-Antoinette Aussenac de Broglie à la Croix sonore, Nicolas Obouhow au piano, Louise Matha au chant, interprètent un extrait du Livre de vie.
Histoire de la Croix sonore
Les Ondes Martenot du Musée
Histoires d'instruments
Les premiers instruments électronique
Hammond, Theremin, Cahill, Martenot, pour ne citer qu’eux, sont les grands pionniers d’une lutherie électrique et électronique qui transformera radicalement le paysage musical dans la seconde moitié du XXe siècle.