Exposition du 16 octobre 2020 au 7 novembre 2021 - Musée de la musique, Paris
Présentation
C’est pas un Olympia pour moi tout seul, mais une « putain d’expo ! » juste pour mézigue que vous allez zieuter… Et au Musée de la musique, s’il te plaît ! Moi qui connais trois accords de guitare je trouve ça zarbi, mais bon, j’dis rien. Ce s’rait une sorte de rétrospective de ma vie de chanteur, y paraîtrait. Un pote m’a dit que ça « sentait le sapin » mais j’m’en tape un peu, j’aime cette odeur qui me rappelle les doux Noëls de mon enfance. Une expo de son [mon] vivant – ou ce qu’il en reste – c’est franchement pas ordinaire, faut bien dire. C’est beaucoup d’honneur pour un chanteur énervant qu’a pas encore tout à fait calanché et qui compte bien ne jamais arriver à ce manque de savoir-vivre, comme disait ce bon Alphonse… « Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard », déclarait le poète, et c’est un peu cet exercice agité, livré à ses enthousiasmes et à ses désenchantements, que mes gentils apologistes ont voulu mettre en avant dans cette exposition qui porte le nom du plus vieux métier du monde pour honorer le plus beau de tous : le mien !
Renaud Pierre Manuel Séchan est né à Paris le 11 mai 1952, précédé de peu par David son jumeau. Cinquième enfant d’une fratrie de six, il grandit avenue Paul Appell, près de la Porte d’Orléans, dans un immeuble en brique rose offrant une vue imprenable sur « la zone », une bande de terrains vagues située à l’emplacement des anciennes « fortifs ». C’est là que ce gamin de Paris se construit au croisement de deux univers familiaux. Issu par sa mère d’un milieu ouvrier du Nord, petit-fils de mineur communiste, il hérite d’une grande fibre sociale et d’un attachement à la chanson populaire. De l’autre côté, descendant par son père d’une famille d’intellectuels, d’artistes et de pasteurs protestants du Sud, il perpétue une longue tradition d’amoureux de la plume. En mai 68, l’adolescent se forge sur les barricades une conscience politique, révolutionnaire et poétique, digne d’un Gavroche hugolien. Sa révolte se concrétise en 1975 par l’enregistrement de sa chanson mythique « Hexagone ».
Mai 68, une naissance sur les barricades
Moi, j’suis amoureux de Paname, du béton et du macadam, sous les pavés, ouais, c’est la plage, mais l’bitume c’est mon paysage
Élève de 3e au lycée Montaigne en 1968, Renaud rejoint le Comité d’action lycéen et fonde le Comité Vietnam. C’est alors que la révolte étudiante et lycéenne explose. Dans la nuit du 10 au 11 mai, les pavés volent et les voitures brûlent rue Gay-Lussac et sur le boulevard Saint-Michel. Au lendemain de cette célèbre nuit des barricades, Renaud fête ses seize ans au milieu des fumées des gaz lacrymogènes. Il rejoint la Sorbonne occupée pour s’y installer pendant trois semaines, refait le monde, écrit des poèmes. C’est une révolution, une révélation. L’adolescent révolté crée le Comité Gavroche révolutionnaire. Et c’est en quelques minutes, au cœur de ce symbole de la contestation, qu’il écrit sa toute première chanson, « Crève salope », qui sera dès lors reprise dans les cortèges étudiants. Un artiste est né.
Du chanteur de rue à « Hexagone »
T’es dans la rue, va, t’es chez toi. Aristide Bruant
Dans la tradition des chanteurs de rue qui poussent la goualante des faubourgs, Renaud commence au début des années 1970 par chanter sur les marchés, dans les rues et les cours d’immeuble. Accompagné à l’accordéon par son ami Michel Pons, il reprend Bruant, Fréhel, et le répertoire de la chanson réaliste, mais chante aussi des morceaux de sa propre composition. Dans la rue, il faut retenir le public parce qu’il n’est pas acquis, mais il est ainsi possible de s’exprimer sans contrainte : Renaud invente sa voix. Quittant la rue pour les cafés concerts, le chanteur fait alors les premières parties de Coluche, son camarade comédien du Café de la gare. Imposant son répertoire et sa gouaille, il finit par enregistrer son premier disque Amoureux de Paname en 1975. Sur celui-ci figure « Hexagone », chanson culte, fédératrice de toutes les révoltes et de toutes les colères.
À vingt-cinq ans, Renaud affiche une silhouette de personnage de bande dessinée : jambes arquées, foulard rouge et cuir noir. Il semble tout droit sorti des fictions musicales qu’il met en scène depuis le succès de « Laisse béton » en 1977. Son paysage imaginaire repose cependant sur une observation attentive de l’évolution de la société au tournant des années 1970 : la ville, son béton, l’opposition entre bourgeois et habitants des grands ensembles. Avec tendresse et dérision, ses « chansons-histoires » héroïsent la zone et la banlieue avec ses codes : virées en mobs, bastons et bistrots ; elles jonglent avec les mots et transforment l’argot et le verlan en respiration poétique. Les personnages sont si vivants que Renaud les tutoie et le public s’y reconnaît.
Une galerie de personnages
Que ce soient Gérard Lambert, Manu, Germaine, la Pépette, pour les plus connus, mais aussi Slimane, la mère à Titi ou Willy Brouillard, et plus largement les habitants du HLM ou de la banlieue rouge, les personnages inventés par Renaud transfigurent de façon comique et poétique l’univers qu’ils habitent. Portraitiste inspiré par le cinéma ou la bande dessinée, l’artiste compose ses chansons comme des suites, aux scénarios riches en péripéties et chutes teintées d’autodérision : Place de ma mob (1977), Ma gonzesse (1979), Marche à l’ombre (1980), Le Retour de Gérard Lambert (1981) brossent les contours d’un paysage urbain familier. Quand Renaud croque ses personnages d’un coup de crayon, certains illustrateurs, fascinés par cet imaginaire, en font les héros de leur bande dessinée.
Parlez-vous le Renaud ?
Grâce à l’emploi de l’argot et du verlan, les chansons de Renaud manifestent une relation permanente à la société, en même temps qu’elles font preuve d’une extraordinaire créativité linguistique. « J’aime la langue française. C’est pour ça que je me permets parfois de la maltraiter comme une vieille dame un peu trop rigide ». Contre le langage institutionnalisé, Renaud impose le langage oral entre parodie, transformations lexicales, jeux de mots et registre de langue. Cette subversion linguistique et sa dimension ludique font la griffe du Renaud parolier. De Laisse béton à Marche à l’ombre , le succès de ses chansons popularise de nouvelles expressions.
J’ai voulu planter un oranger Là où la chanson n’en verra jamais Là où les arbres n’ont jamais donné Que des grenades dégoupillées.
Renaud ne se contente pas d’être le chanteur de l’Hexagone.Tout l’engage : ce qui se déroule en bas de chez lui aussi bien qu’à l’autre bout de la planète. Cette largeur de vue nourrit ses chansons et donne à son œuvre toute sa cohérence : l’artiste se définit comme « citoyen du monde », n’appartenant à aucune nation ni aucun milieu. Il fait acte de résistance et d’engagement en incarnant la figure d’Étienne Lantier au cinéma, symbole de la lutte des classes, combat nécessaire et permanent. Il offre aussi, par la plume de ses chroniques et par ses dessins, une cartographie moqueuse et sensible de l’état de la planète. Caisses de résonance de « cette putain d’humanité », ses chansons constituent une mémoire vive des combats collectifs de cette fin du XXe siècle.
Germinal
Germinal, c’est l’histoire de la classe ouvrière, c’est l’histoire des gens qui luttent, les histoires des gens qui résistent à l’oppression et aux injustices. Fête de l’Humanité, 12 septembre 1993
Pour honorer la mémoire de son grand-père mineur, et parce qu’il s’identifie au personnage idéologiquement proche de lui, Renaud accepte d’incarner Étienne Lantier au cinéma dans le Germinal de Claude Berri, sorti le 24 septembre 1993. Sur le site minier de Wallers-Arenberg, fermé depuis 1989, le tournage de ce mythe ouvrier et littéraire d’Émile Zola résonne comme un coup de grisou. Au-delà de l’hommage rendu aux mineurs du siècle dernier, la réalisation du film tourne à la lutte sociale. Renaud devient meneur de grève et prend fait et cause pour les figurants mal payés, anciens mineurs pour la plupart. Initié au répertoire ch’ti par ces derniers, il enregistre à Lille dans la foulée du film le disque Renaud cante el’ Nord, interprétant des chansons empruntées à Edmond Tanière et Simon Colliez. L’album connaîtra un succès considérable notamment dans le pays minier.
Charlie Hebdo
Renaud et Charlie : une histoire enragée d’amitié, de liberté, de plume et de dessins. Lorsque le journal hebdomadaire satirique fondé en 1970 par Cavanna et le Professeur Choron dépose le bilan le 23 décembre 1981, Renaud affiche publiquement son soutien. En 1992, il contribue à financer sa relance, aux côtés de Cabu, Gébé et Philippe Val. Insolent et léger, fidèle à cet « esprit Charlie » irrévérencieux, il écrit entre 1992 et 1996 plus d’une centaine de chroniques, dénonçant la « réalité dégueulasse » dont il est le témoin quotidien. Sa plume accompagne les engagements et les combats du journal, parmi lesquels la lutte contre le Front national ou la guerre en Bosnie-Herzégovine, ainsi que les prises de position antiracistes ou antinucléaires de la rédaction. Cabu, Charb, Wolinski, Tignous sont ses amis. Il dessine avec eux aux réunions du lundi. Leur mort dans l’attentat du 7 janvier 2015 est un bouleversement.
Vue de l’exposition Renaud « Putain d’expo ! ». Photo : William Beaucardet - Cité de la musique - Philharmonie de Paris.
Pourvu qu’elle soit toujours là Dans ma tournée prochaine Ma foule sentimentale à moi
Le 17 janvier 1984, Renaud inaugure le Zénith qu’il s’approprie symboliquement, puisqu’il s’y produira également en 1986, 1988, 2002-2003, 2016-2017 avec à la clé le record de fréquentation sur un mois courant en février-mars 1986 qu’il détient toujours... L’artiste a également sillonné les six côtés de l’Hexagone, la Belgique et la Suisse francophones, entretenant sur scène une relation très forte à son public, pleinement associé à la performance. Ni « bête de scène » ni « chanteur à voix », Renaud sait faire preuve d’autodérision face à ceux qui l’écoutent, parlant beaucoup et les apostrophant avec humour. Les concerts sont l’expression d’une intense complicité, d’une fidélité sans cesse renouvelée, produisant une longue conversation collective et intime.