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Histoires de collections
La collection Geneviève Thibault de Chambure
Entrée au Musée entre 1979 et 1983, la collection réunie par Geneviève Thibault de Chambure pendant 40 ans (des années 1930 aux années 1970) forme un ensemble patrimonial unique, tant par le nombre et la variété d’instruments qui la composent que par la rareté de certaines pièces. Elle représente aujourd’hui 10% de l’ensemble des œuvres du Musée de la musique (soit 892 objets).
Geneviève Thibault, Comtesse de Chambure incarne une des figures majeures du renouveau de la musique ancienne jouée sur instruments d’époque. En contact régulier avec les collectionneurs, les luthiers et les marchands, elle fut l’une des figures principales du marché instrumental de la seconde moitié du XXe siècle.
LA COLLECTION GENEVIÈVE THIBAULT DE CHAMBURE AU MUSÉE DE LA MUSIQUE
Visite guidée de la collection
La collection Geneviève Thibault de Chambure, outre son importance et sa qualité remarquables, présente un intérêt tout particulier, celui de rassembler des familles instrumentales diversifiées. On y retrouve les grands noms de la facture européenne, sur une période s’étendant du XVIIe au XXe siècles. Elle donne notamment un panorama pour la France des XVIIIe et XIXe siècles.
Une exploration de la collection permet de distinguer des ensembles typologiques cohérents. Si certaines familles d’instruments dominent par leur nombre - les archets, les flûtes à bec et les flûtes traversières, les violons, altos, ténors, violoncelles, contrebasse - d’autres ensembles réunissent des pièces rares et uniques (famille des clavecins des XVIIe et XVIIIe siècles, famille des cornets à bouquins, des violes et des luths).
Claviers
Quelques instruments à clavier
-
la virginale Virginale à la quinte
Ioannes Ruckers
Anvers
1583
E.986.1.2 de Ioannes Ruckers, l’un des plus anciens instruments conservés de ce facteur -
les clavecins de Ruckers-Taskin Clavecin
Andreas II Ruckers - Pascal Joseph Taskin
Anvers / Paris
1646-1780
E.979.2.1 , Desruisseaux Clavecin
Gilbert Desruisseaux
Lyon
1678-1679
E.979.2.3 , Marius Clavecin brisé
Jean Marius
Paris
Vers 1700
E.979.2.2 , Grimaldi Clavecin
Carlo Grimaldi
Messine
1703
E.980.2.644 , Collesse -Franky Clavecin
Joseph Collesse -Jean Franky
Lyon
1775-1777
E.979.2.4 -
l’épinette de Delin, Épinette
Albert Delin
Anvers
1738
E.980.2.645 pièce rare -
le piano à queue Érard Piano à queue
Maison Érard
Paris
1812
E.979.2.7dont la caisse est en forme de clavecin «nouveau modèle»
Cordes
Quelques instruments à cordes frottées
-
un ensemble d’ instruments de lutherie de l’école « Vieux Paris » du XVIIIe siècle réunissant les célèbres luthiers parisiens Pierray, Boquay, Guersan, Fleury, Colin, Vidal, Bertet, Ouvrard, constitue une rareté
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le violon de Duke Violon
Richard II Duke
Londres
1766
E.980.2.488 , dont le manche et le barrage sont d’origine ; la contrebasse de Vuillaume Contrebasse
Jean-Baptiste Vuillaume
Paris
Vers 1850
E.980.2.464au vernis rouge-orangé -
la famille des violes dont deux pièces uniques : la basse de viole de Collichon Basse de viole
Michel Collichon
Paris
1683
E.980.2.667, et le ténor de viole de Rose Ténor de viole
John Junior Rose
Londres
1604
E.980.2.394 -
la basse de viole de Norman Basse de viole
Barak Norman
Londres
1723
E.1080décorée de motifs floraux
Quelques instruments à cordes pincées
-
la famille des luths comporte des pièces uniques et rares comme le luth de Des Moulin Luth
Jean Des Moulin
1644
Paris
E.979.2.69 , l’angélique Angélique
Anonyme
fin XVIIe siècle
E.980.2.317 -
la harpe de Clermont Harpe à pédales
Clermont
2e moitié du XVIIIe siècle
Nancy
E.980.2.357 -
les guitares signées de noms prestigieux comme Voboam Guitare
Alexandre Voboam
1692
Paris
E.980.2.295, Lacote Guitare
René Lacote
1828
Paris
E.980.2.293
Archets
Allant de l’époque baroque à l’époque contemporaine, l’ensemble des archets rassemblent des noms célèbres de l’archèterie française comme Tourte, Pageot, Voirin, Husson ; à signaler 2 rares archets de trompette marine
Tous les archetsVents
Quelques instruments à vent de la famille des bois
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La famille des flûtes constituent un ensemble exceptionnels : citons, en exemple, les 3 flûtes à bec alto ténor et basse signées Hotteterre , ainsi que la flûte de traversière de Stanesby, Flûte traversière
Thomas Stanesby
Vers 1750
Londres
E.980.2.7 celles en ivoire de Scherer , et les Lot. -
Dans la famille des hautbois, notons les productions de Grundmann, ou encore de Triebert.
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Dans la famille des clarinettes, notons celles de facture française
Quelques instruments à vent de la famille des cuivres
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Outre l’ensemble exceptionnel de 18 cornets à bouquin du XVIIe siècle, citons la trompette de Schöller Trompette
Philip Schöller
vers 1780
Munich
E.980.2.284 , les cors de Dujariez, les productions de Raoux et celles de Tabard
Percussions
Quelques instruments à percussions
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1 paire de timbales du XVIIIe siècle .
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3 beaux tambours sur pied mbejn .
Et aussi
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Un ensemble de reconstitutions d’instruments anciens datant de la fin du XIXe siècle, début du XXe siècle, témoignent de l’activité musicale de Geneviève de Thibault : ces « copies » étaient destinées à être jouées au côté des instruments d’époque.
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Un ensemble de 27 objets de culture non européenne ont été identifiés sur les 37 objets notés dans l’inventaire établi par l’expert Alain Vian, lors de la vente de la collection en 1980. Ce qui témoigne de l’ouverture d’esprit de Madame de Chambure à toutes les musiques.
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Enfin, un petit corpus iconographique rend compte de son intérêt pour la question de la représentation de la musique.
Des entrées successives au Musée
En 1979, l’État accepte au titre de dation, un nombre élevé de biens culturels issus des collections musicales et instrumentales réunies par Geneviève Thibault. Le département de la musique de la Bibliothèque nationale reçoit 630 manuscrits et imprimés rares tandis que 73 instruments de musique sont affectés au Musée instrumental du Conservatoire de Paris.
En 1980, l’ État français, à l’aide du Fonds national du patrimoine, acquiert le reste de la collection Geneviève Thibault de Chambure, au bénéfice du Musée, soit 715 instruments.
En 1982 puis en 1983, le Musée acquiert auprès d'Aude Pelletier, fille de Geneviève Thibault et de Pierre Pelletier de Chambure, un ensemble de 54 objets dont 40 proviennent de l'ancienne Collection Geneviève Thibault de Chambure.
Origine de la collection
C’est vers 1929 que Geneviève Thibault constitue sa collection, par l’achat de celle du commandant Le Cerf, composée de 259 instruments ( 150 sont conservés au Musée de la musique), regroupant des instruments authentiques et des reconstitutions. Signalons un orgue, 25 archets, ainsi qu’un bel ensemble de cornets à bouquin, flûtes, hautbois des XVIIe et XVIIIe siècles. Le Cerf avait acquis ses instruments anciens lors des ventes du baron Lery en 1910 et de Léon Savoye en 1924 et d’autres collectionneurs français et suisses. Geneviève Thibault de Chambure poursuit ses achats auprès d’antiquaires et acquiert notamment la virginale de Ioannes Ruckers datée de 1598 (E.979.2.6), à la vente Gustave Lyon en 1936.
Dès lors, sa collection ne cesse de croître, particulièrement au cours des 12 années où elle est conservatrice du Musée instrumental (de 1962 à 1973) : c’est ainsi qu’en 1962, elle achète le très rare clavecin Ruckers-Taskin, 1646 (E.979.2.1).
Ces « amateurs érudits »
La collection Thibault de Chambure figure au premier plan des collections les plus remarquables dans ce domaine, à l’instar de celle du compositeur Louis Clapisson, 1808-1866 (322 pièces conservées au Musée de la musique), celle du célèbre facteur Adolphe Sax, 1814-1894 (70 au Musée de la musique), ou de l’ingénieur Paul Cesbron, 1845-1921 (353 pièces au Musée de la musique).
Geneviève Thibault de Chambure s’inscrit dans une lignée de collectionneurs initiée par Clapisson : ces « amateurs érudits » (Florence Gétreau) qui ont consacré leur collection aux instruments de musique anciens. Tous deux occuperont d'ailleurs le poste de conservateur du Musée instrumental (un siècle les sépare) et sauront allier leur métier et leur passion.
Une collection au service de la musique
Geneviève Thibault n’a pas seulement le goût de l’objet rare mais entend surtout servir la musique. Elle s’inscrit parfaitement dans la démarche initiée par Eugène de Bricqueville (1809-1885), collectionneur et organologue qui, le premier, avait exprimé l’utilité de réunir des instruments anciens pour les mettre à la disposition des interprètes et à l’exécution du répertoire de musique ancienne.
Elle fait remettre en état de jeu certains instruments qu’elle acquiert et n’hésitera pas à les prêter à des musiciens professionnels pour les concerts de la SMA (William Christie ou Jordi Savall pour ne citer qu’eux) mais aussi à des instrumentistes amateurs de qualité qu’elle accueille dans son salon de Neuilly.
Le portrait
Une formation musicale
Fille de Thérèse Lazard et de Charles Thibault, Geneviève Thibault naît le 20 mai 1902 dans un milieu cultivé et bourgeois. Entre 1912 et 1923, elle reçoit des cours de piano avec Lazare-Levy, d’harmonie et de contrepoint avec Eugène Cools, d’orgue et de fugue avec Nadia Boulanger, qui lui assurent une solide formation musicale. Ses études de lettres à la Sorbonne auprès d’André Pirro sont sanctionnées par un Diplôme d’Etudes Supérieures pour son mémoire sur John Dowland, luthiste et compositeur du XVIe siècle.
Dès les années 1920, elle commence à se constituer une bibliothèque musicale. Sa rencontre avec le collectionneur d’instruments de musique Georges Le Cerf en 1923 est décisive et oriente ses activités musicales et ses travaux musicologiques. Celui-ci organise depuis 1919 des concerts dans son appartement du 15, avenue de Malakoff à Paris, et met à la disposition des musiciens sa riche collection d’instruments. Geneviève Thibault y rencontre des personnalités du monde musical comme Charles Koechlin, Antoine Geoffroy-Dechaume, Roland-Manuel ou encore Nadia Boulanger et Wanda Landowska.
Geneviève Thibault figure parmi les membres fondateurs de la Société de Musique d’Autrefois (SMA), créée le 18 décembre 1926 et dont le but est de restituer, d’après les partitions originales, « les œuvres rares de l’art musical depuis ses origines jusqu’à la fin du XVIIIesiècle ». Ces transcriptions seront jouées sur instruments anciens lors de concerts bi-annuels.
Pendant près de 50 ans (jusqu’en 1975), la SMA va marquer de son empreinte le paysage français de la musique ancienne en participant pleinement à son renouveau.
Parallèlement, elle mène des recherches musicologiques, publie notamment dans la Revue de musicologie. On lui doit notamment une anthologie musicale, Poètes et musiciens du XVe siècle (1924) qui dénote son intérêt pour la musique française du XVe et du XVIe siècles.
Une interruption
Le 15 avril 1931, Geneviève Thibault épouse le vicomte Hubert Pelletier de Chambure, (avec qui elle aura six enfants). Elle interrompt les activités de la SMA l’année suivante pour accompagner au Vietnam son mari, nommé à la Banque d’Indochine. Elle voyage en Asie durant cette période et y retournera à plusieurs reprises. C’est ainsi qu’elle rapportera en 1960 de précieux enregistrements de la tribu des Sré (montagnards des hauts plateaux du Vietnam central) qui seront plus tard édités par Chant du monde dans la « Collection C.N.R.S., Musée de l’homme.
De retour à Paris à partir de 1939, elle s’engage comme infirmière à la Croix-Rouge française jusqu’en 1945.
Au Musée Instrumental, elle participe en 1942 à l’établissement d’un nouvel inventaire, sous la direction de Jacques Chailley, alors directeur-adjoint du Conservatoire, qui impulse une remise en ordre des collections.
Elle reprendra ses activités musicales et ses travaux de musicologie consacrés aux musiques du Moyen Age et de la Renaissance après la mort de son mari survenue en 1953.
Une nomination au Musée Instrumental du Conservatoire de Paris
La nomination de Geneviève Thibault de Chambure comme conservatrice du Musée en 1961 (elle le restera jusqu’en 1973) revitalise le musée. Elle y met non seulement en dépôt des pièces remarquables de sa collection, mais s’emploie à enrichir le fonds, notamment dans le domaine de la facture instrumentale française.
Par ailleurs, elle inscrit le musée dans le réseau international des musées et collections d’instruments de musique (CIMCIM) en assurant notamment la présidence de son comité au sein de l’ICOM (International Council of Museums), entre 1968 et 1974.
À sa mort, survenue le 31 août 1975, sa collection est l’une des plus importantes au monde.
Durant près de 40 ans, Geneviève Thibault de Chambure a réuni la plus importante collection instrumentale en France, mise au service de la musique et des musiciens afin de soutenir le renouveau de l’interprétation de la musique ancienne. Son héritage perdure désormais au sein du Musée de la musique qui conserve sa collection d’instruments et l’expose dans ses espaces permanents.
La bibliographie
Consultables à la Médiathèque de la Philharmonie de Paris :
Articles
-
Florence Getreau, Catherine Massip, « Les collections Henry Prunières et Geneviève Thibault de Chambure » dans Denis Herlin, Catherine Massip et Valérie De Wispeleare (eds.), Collectionner la musique : érudits collectionneurs, Turnhout, Brepols, 2015, vol.3, pp 217-256
-
Florence Gétreau, « Images du patrimoine : collectionneurs d'instruments anciens et ensembles de musique ancienne en France » dans Musique.Images.Instruments, N° 1, 1995, pp. 34-47
-
Nanie Bridgman, « Geneviève Thibault, comtesse de Chambure (20 mai 1902- 31 août 1975) » dans Revue de Musicologie, T. 62, N° 2 (1976), pp. 195-203
Livres
-
Florence Gétreau, Aux origines du Musée de la musique : les collections instrumentales du Conservatoire de paris : 1793-1993, éditions Klincksieck, RMN, 1996.
-
Georges-Henri Rivière, Josianne Bran-Ricci, Florence Abondance Geneviève Thibault, comtesse Hubert de Chambure : une vie au service de la musique. SAMI, 1981.
-
F. Abondance, J. Bran-Ricci, C. Massip, F. Lesure, Musiques anciennes. Instruments et partitions donnés à l’Etat en paiement de droits de succession, catalogue d’exposition, Paris, Bibliothèque nationale , 1980