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Portraits de facteurs d’instruments
Depuis les années 1890 et pendant près d’un siècle, les Nahhât, famille de luthiers syriens, ont produit à Damas des luths ‘ud de facture exceptionnelle, symboles d’une tradition damascène dont la sophistication légendaire rappelle celle de la dynastie des Umayyades (661-750).
Damas : capitale d’art et d’artisanat
La dynastie des Nahhât s’inscrit au sein d’une riche corporation de maîtres luthiers installés à Damas. Capitale du califat des Umayyades, Damas est l’héritière d’une tradition artistique et artisanal de renom. Dans le domaine de la lutherie, comme dans celui de la marqueterie, sa réputation d’excellence voire de suprématie est établie dans tout le monde arabe.
Le fondateur de la dynastie des Nahhât
D’après les descendants de la famille, la lignée des Nahhât commencerait vers 1800, mais c’est vers 1860 que l’histoire familiale s’éclaire avec l’apparition d’un maître sculpteur de pierre du nom de George Youssef Nahhât, arabe chrétien orthodoxe avec une vraisemblable ascendance arménienne. Rompu à la pratique du dessin géométrique et à l’application directe des proportions du nombre d’or, George Nahhât convertit son activité de sculpture sur pierre, marquée par la dureté du travail, à la sculpture sur bois et à l’ébénisterie dont le champ des possibilités est immense à l’époque.
Le maître Nahhât se spécialise alors essentiellement dans la fabrication de meubles d’art dont la tradition est particulièrement développée à Damas, ainsi que de luths ‘ud (prononcé ouds). Ainsi, dès les années 1890, d’étonnantes étiquettes collées au fond de la caisse de ‘uds magnifiques en vantent la richesse ou portent mention de la fabrique de mobilier en tous genres. .
Une production de ‘uds prestigieux
Quatre fils de George Youssef lui succèdent dans le métier du bois : Roufân George, Abdoh George, Antoun George et Hanna George. Ils produisent nombre de ‘uds prestigieux, dont certains comptent aujourd’hui parmi les plus recherchés du monde arabe.
Roufân, l’aîné, reçoit de son père l’enseignement de lutherie le plus complet et le transmet ensuite à ses frères ; il est bientôt éclipsé par le génie de son cadet et associé, Abdoh George, qui fait fructifier l’entreprise familiale au-delà des frontières de la Syrie.
Le troisième fils, Antoun, grandit parmi les copeaux de bois et rejoint ses aînés dès l’âge de quatorze ans. Né en 1872, Hanna George ne signera sa production qu’à partir de 1920.
Emigration au Brésil et fin de la dynastie Nahhât
Les deux fils de Hanna George, Tawfiq Hanna et George Hanna produisent sous leur nom, à partir des années 1930, des ‘uds de moindre qualité. Parmi ses neuf enfants, Abdoh George aura trois successeurs : Ilias Abdoh, qui produit des ‘uds très soignés, Basile Abdoh et George Abdoh, dont les instruments sont rares. En 1935, Ilias et Basile quittent Damas pour émigrer au Brésil. Abdoh George les rejoint en 1938. Là-bas, ils abandonnent la lutherie et poursuivent la construction de meubles, enchantés par la richesse et la variété des bois locaux.
Quelques années après la mort d’Abdoh en 1941, son fils Ilias reçoit un songe dans lequel son père l’enjoint de reprendre la facture du luth arabe. Il reprend la lutherie à un rythme plus compatible avec les autres activités de l’affaire familiale. De 1969 à 1984, ses ‘uds sont construits à l’adresse des nombreux immigrés orientaux du pays, majoritairement libanais. Sa production très soignée verra le style décoratif de plus en plus influencé par l’Art nouveau, mais la qualité sonore n’atteint pas celle de Damas qui fit la réputation de ses ‘uds en Orient.
Ilias meurt au Brésil en 1993. Le dernier ‘ud signé Nahhât (par Ilias et son frère George Abdoh) date de 1984. Ainsi s’éteint la dynastie des Nahhât, et avec elle l’extraordinaire maîtrise des gestes et techniques d’une production de lutherie distinguée par l’élégance des formes et par un génie décoratif sans cesse renouvelé.
Crédits
Graphisme de la généalogie : Marie DeclerckInstruments du Musée
Incontournable du musée
Luth 'ud - Matteo Sellas
Instrument majeur de la musique arabe, le ‘ud possède une longue histoire dont la trace se perd dans la région de Bagdad vers le VIIe siècle.