Page découverte
Portraits de facteurs d’instruments
L’arbre généalogique de cette célèbre famille de luthiers originaire de Füssen, haut-lieu de la lutherie allemande du XVIe au XIXe siècle, peut dérouter au premier abord, puisqu’au fil de leurs voyages et séjours dans toute l’Europe, les Tieffenbrucker adoptèrent des patronymes variés : Dieffopruchar, Dieffoprukhar, Duiffoprugcar, Thiphobrucar, Fraburgadi, sans oublier l’illustre Wendelio Venere.
A partir du XVIe siècle, en effet, nombreux sont les luthiers nés à Füssen et aux alentours à prendre la route des grands centres musicaux et commerciaux ; pour les Tieffenbrucker, ce seront Lyon, Paris, Venise, Padoue... Tous ces maîtres luthiers auront pour point commun d’être des pionniers dans leur art, la fabrication et l’ornement des instruments de la famille des luths et de susciter, où qu’ils aillent, l’excellence dont témoignent aujourd’hui encore les trésors des plus grandes collections.
Le berceau de la famille Tieffenbrucker
C’est dans le petit village de Tieffenbruck et la région de Füssen, en Bavière, que se trouve le berceau de la famille Tieffenbrucker. A une époque où les départs de jeunes luthiers vers la France ou l’Italie sont monnaie courante, la famille se scinde bientôt en deux branches : l’une s’établit à Lyon et prend rapidement la nationalité française, se spécialisant dans la production de violes et d’autres instruments à archet. Les luths de haute facture de la seconde branche, la plus fournie, feront sa célébrité à Venise et Padoue, en Italie.
Tracer avec précision l’arbre généalogique de la famille Tieffenbrucker s’avère impossible : ce patronyme regroupe non seulement les membres d’une large parentèle aux ramures entremêlées, mais aussi quantité de personnes n’ayant rien de commun avec elle si ce n’est l’origine géographique : le village de Tieffenbruck. Néanmoins, certaines figures demeurent bien connues des biographes : nous ne citerons que quelques membres.
Les Tieffenbrucker en France
Ulrich I le plus ancien et le moins connu de cette lignée a sans doute travaillé à Venise et à Bologne. Un seul luth, daté de 1521, est parvenu jusqu’à nous. Gaspar I Tieffenbrucker, probablement un proche parent voire même un fils d’Ulrich I, est le plus célèbre représentant de la branche française. Son nom connaît de nombreuses variantes, Duiffoprugcar étant peut-être la plus courante. Installé à Lyon en 1558, il acquiert la nationalité française en 1533 ; mais en 1564, son atelier et sa maison sont démolis pour faire place aux nouvelles fortifications de la ville, sans qu’aucune compensation ne lui soit allouée. Lourdement endetté, il ne s’en remettra jamais totalement. Un portrait célèbre, gravé en 1565 par Woeiriot le représente. Son fils aîné, Gaspar II part pour Paris à la mort de son père. Il y épouse la fille du luthier parisien Jacques Delamotte, et établit son atelier rue du Pot-de-Feu en 1582, tandis que son second fils Jean prend la succession de son père à la mort de celui-ci et poursuit son activité à Lyon après 1585.
Les TIEFFENBRUCKER en Italie
Les autres membres importants de la lignée d’Ulrich I appartiennent tous à la branche italienne. Magno III, dit « Fils de Rigo », actif à Venise, a été parfois confondu avec Magno II dont il était peut-être le cousin. Un chitarrone de sa main, conservé au Kunsthistorisches Museum, à Vienne, a servi de modèle pour de très nombreux instruments. Abraam , frère de Magno II, est accusé d’hérésie par l’Inquisition en 1575. Des témoins attestent de ses voyages réguliers en « pays français » et des luths de haute valeur qu'il transporte en grande quantité . Ce qui laisse à penser que les branches française et italienne étaient restées en contact.
Une autre « famille » italienne est répertoriée qui commence, à Padoue, avec Leonardo I, « l’aîné » . Leonardo II, « le jeune », probablement fils du précédent, travaille d’abord à Padoue puis s’installe à Venise vers 1590 et enseigne le métier à Michael Hartung.
Le « cas » Wendelin Tieffenbrucker
Ce très célèbre membre de la famille a posé de nombreux problèmes aux biographes, principalement du fait des multiples variantes de son nom (« Wendelio Venere » entre autres). Les instruments portant son nom, datés de 1551 à 1611, semblent indiquer une période d’activité exceptionnellement longue ; d’où la théorie selon laquelle plusieurs membres de la famille pourraient avoir partagé la même identité. Il s’avère que « Venere » est simplement un surnom et que trois luthiers de la famille, tous actifs à Padoue, ont fabriqué des luths en inscrivant ce nom sur l’étiquette. Wendelin est le fils de l’un des Leonardo (probablement l’aîné) et signe ses derniers luths en 1587.
Des luths de haute facture
Plusieurs instruments de la famille Tieffenbrucker sont parvenus jusqu’à nous et sont conservés dans les principales collections d’instruments de musique en Europe et en Amérique du nord. La plupart datent de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècles. Il s’agit de luths, archiluths, théorbes et chitarrones, dont certains ont été modifiés ultérieurement. Beaucoup, en particulier ceux de Magno II, sont d’une très haute qualité et étaient destinés à de riches clients. Le luth d’ivoire et d’ébène, richement décoré, commandé par le Duc de Mantoue et conservé au Castello Sforzesco, à Milan, est un exemple de ce savoir-faire exceptionnel. Le Musée de la musique est riche de 9 instruments Tieffenbrucker dont 2 luths fabriqués et un troisième attribué à Wendelin Tieffenbrucker [Wendelio Venere]