Crédits de l’exposition
- Commissaire : Clémentine Deroudille, Joann Sfar
- Scénographie : Christian Marti, Antoine Fontaine, Gladys Garot.
- Conception graphique : Philippe Ravon
- Parcours audiovisuel : Olivier Daviaud
Exlorez les archives numérisées de luthiers et facteurs (Pleyel, Gand, Bernardel...) témoignant des évolutions de la facture instrumentale et de la vie musicale.
1240 dessins techniques, reproduits à l’échelle 1, des instruments du Musée et des principales collections du monde.
Explorez plusieurs centaines de recettes de vernis issues de traités, livres "de secrets", du XIVe au XVIIIe siècles.
Accédez aux collections d'instruments de musique conservées dans les musées français.
Les collections du Musée de la Musique sont intégrées à la base Joconde, accessible depuis la POP.
Découvrez les collections d’instruments de musique conservées dans les musées du monde entier.
Page découverte
Expositions temporaires du musée de la musique
En 2011, Georges Brassens aurait eu 90 ans. La Cité de la musique a saisi l’occasion de faire redécouvrir le parcours atypique de cet immense artiste.
Elle a demandé au dessinateur Joann Sfar et à la journaliste Clémentine Deroudille de transmettre leur passion pour Brassens sous la forme d’une exposition accessible à tous, privilégiant une approche originale.
Fin lettré, grand connaisseur de la poésie française, Brassens était non seulement un remarquable auteur de chansons mais aussi un musicien pétri de jazz et admirateur de Charles Trenet.
En véritable libertaire, ce grand timide, mal à l’aise sur scène, préféra toujours aux combats collectifs suivre sa propre, sans jamais renier ses convictions, s’opposant à la guerre, à la morale bien pensante ou à l’arbitraire de l’autorité.
Il imposait sa force tranquille, inébranlable dans le tourbillon du succès, et n’a jamais suivi que sa petite musique intérieure.
Georges Brassens grandit à Sète, bercé par les chansons de l’époque, entre une mère d’origine italienne, fervente catholique et un père maçon, athée et libre penseur.
Depuis que j’existe sur la terre, je ne me souviens pas d’une journée sans musique et sans chanson
.
Tout le monde chante chez les Brassens, et l’enfance de Georges, né le 22 octobre 1921, se déroule à l’unisson des refrains de l’époque : Paul Misraki, Mireille et Jean Tranchant, Pills et Tabet…
Les Brassens sont maçons de père en fils et se sont installés à Sète juste avant la Première Guerre mondiale. La mère de Georges, Elvira Dagrosa, est issue d’une famille d’immigrés italiens. Veuve à trente ans d’un mari mort à la guerre, elle est retournée vivre chez ses parents avec sa fille Simone. C’est là que la jeune lingère fait la connaissance de Louis, le futur père de Georges.
À 14 ans, l’adolescent connaît déjà de nombreuses chansons par cœur lorsqu’il rencontre un jeune professeur de français, Alphonse Bonnafé, qui l’initie au beau vers.
Vers les années 30 c’est là que j’ai pris feu, j’ai négligé mes études. Je passais mon temps avec une musique dans la tête
.
Georges écrit ses premiers poèmes et chansons. Il s’entoure d’amis inséparables auxquels il restera fidèle toute sa vie. Avec eux, il se produit dans les bistrots de Sète, jouant successivement du banjo et de la batterie.
Bien que n’ayant jamais appris la musique, Brassens rêve, à 14 ans, d’une carrière à la Charles Trenet. À 17 ans, épris de liberté, fasciné par les films de cow-boys et de gangsters, il s’acoquine avec une bande de voyous qui sème une petite terreur dans la ville par des vols de bijoux. Arrêté et condamné, Brassens prend prétexte de l’opprobre dont il fait l’objet pour convaincre ses parents de le laisser quitter Sète et tenter sa chance à Paris.
Envoyé en Allemagne dans le cadre du Service du travail obligatoire, Brassens se forge des amitiés durables et compose de nombreuses chansons enregistrées plus tard.
À son arrivée à Paris en février 1940, Brassens loge chez sa tante Antoinette dans le 14e arrondissement, quartier qu’il fera sien. Il est embauché aux usines Renault à Boulogne-Billancourt, mais, trois mois plus tard, l’usine est bombardée. C’est l’exode et Brassens rentre à Sète.
De retour dans la capitale occupée en septembre, le jeune homme renonce à se prêter au jeu social en travaillant et préfère la bibliothèque du quartier. Il s’exerce aussi sur le piano de sa tante.
Le 8 mars 1943, son départ en Allemagne au Service du travail obligatoire ne change rien à son rêve : écrire. Une amie de sa tante va l’y aider, elle s’appelle Jeanne Le Bonniec et le cache chez elle lorsqu’il déserte le STO. Il y restera plus de vingt ans.
« L’arbre » de Brassens se trouve en plein Paris, dans le 14e arrondissement. Le jeune homme s’est réfugié au 9 impasse Florimont, à l’occasion d’une permission donnée à Basdorf. Il y restera 22 ans, au début dans le plus grand dénuement, toujours soutenu et encouragé par Jeanne. C’était une sorte de taudis. […] J’ai un sens de l’inconfort tout à fait exceptionnel. Je me fous complètement du confort
.
Bien que mariée avec Marcel, et de 30 ans plus âgée que Georges, Jeanne est tombée sous le charme du jeune poète sans le sou. C’est dans ce cadre peu banal que le chanteur écrira la plupart de ses chansons.
La littérature tient une place centrale dans la vie de Brassens. S’il fréquente assidûment la bibliothèque du quartier, il flâne aussi sur les quais pour dénicher des ouvrages rares qui pourraient l’inspirer. Lecteur passionné, éclectique, il peut réciter des pages entières de François Villon, La Fontaine, Victor Hugo, Charles Péguy... Les figures d’Apollinaire, Léautaud, Claudel, Pascal et Prévert traversent même les strophes de ses chansons. Brassens achète ses livres de chevet – Claude Tillier, Albert Marchon, Oscar Wilde – en dix exemplaires, à l’attention de ses amis.
Féru d’art poétique, il ne quitte jamais les traités de versification, les ouvrages de grammaire, d’orthographe, et les dictionnaires qui lui permettent de s’exercer à l’écriture. L’artiste se rêve poète, avant de se consacrer pleinement aux chansons au début des années 1950.
Tous les matins de cinq heures à huit heures, selon un rituel immuable, Brassens écrit. Une phrase, une expression commune ou détournée peut être le point de départ d’une chanson. Il enrichit et retravaille son texte inlassablement, conservant les versions successives, soucieux des règles de la versification, du rythme et du mot juste.
Le temps nécessaire à l’écriture d’une chanson, d’un mois généralement, peut prendre des années : dix ans pour Supplique pour être enterré à la plage de Sète !
Le chanteur joue des références, mêle les registres de vocabulaire, puise dans une imagerie d’un autre temps. Il crée, dit-il, son « petit théâtre » de cinq ou six personnages : ivrognes, voyous, putains, paysans, flics et demoiselles, des gens simples dans un univers souvent intemporel.
L’harmonisation de Brassens est relativement simple au début de sa carrière puis se complexifie. Le chanteur revendique l’absence d’effet : Il faut que la musique donne une sorte d’atmosphère à l’image que l’on est en train de voir. Il faut que mes chansons aient l’air d’être parlées
.
Brassens apprend la musique sur le piano de sa tante et prend l’habitude de composer sur cet instrument. Il le remplace ensuite par un orgue électrique lui permettant d’avoir une rythmique et un semblant d’orchestration.
Lorsque la musique est composée, il opère une sorte de « réduction », transposant les accords sur sa guitare. Il enregistre ses musiques – parfois sept ou huit pour une même chanson – sur des bandes magnétiques qu’il écoute inlassablement pour garder celle qui tient le plus longtemps à l’oreille.
« En lisant Kropotkine, Bakounine et Proudhon, je me suis dit : “tiens, ça c’est pour moi”. L’anarchie, je pense qu’à dix ans, je l’avais en moi. » À 20 ans, Brassens imagine avec ses amis le « parti préhistorique », qui prône le retour aux temps anciens ; il collabore également au premier et dernier numéro du journal Le Cri des Gueux. Parallèlement, de septembre 1946 à juin 1947, il écrit dans Le Libertaire puis, sans rompre avec la pensée anarchiste, prend ses distances avec le journal par refus du militantisme.
L’artiste a, à maintes reprises, milité contre la peine de mort, comme en témoignent plusieurs photos. Son « carnet de bord » de 1963-1981 découvert à l’occasion de l’exposition livre un témoignage exceptionnel sur les événements de l’époque, notamment mai 68.
« Le seul paradis que je préconise, moi, c’est le paradis de l’individu qui a sa liberté. » Libre-penseur, antimilitariste, se moquant de l’institution et de l’autorité en général, l’amoureux de la poésie choisit de livrer son point de vue par métaphores plutôt que de plaider ouvertement. Ses textes sont de véritables coups de poing dans l’univers de la chanson d’après-guerre. Il est l’un des premiers à parler si librement de sexualité. Brassens aura évoqué en chansons toutes les femmes : la bourgeoise, la fille de rien, la fille de joie, la jeune, la vieille, parfois en termes crus dans la grande tradition de la chanson paillarde….
En 1951, Brassens n’a pour public que ses proches amis et rêve de placer ses chansons auprès d’interprètes célèbres. Peine perdue. Grâce au chansonnier Jacques Grello, il décroche quelques contrats dans les cabarets, sans grand succès.
Un soir de janvier 1952, suant de trac, il chante devant Patachou. La chanteuse, enthousiaste, l’invite à se produire dans son célèbre cabaret sur les hauteurs de Montmartre.
Peu de temps après, Jacques Canetti, directeur artistique chez Polydor et patron des Trois Baudets, lui fait enregistrer son premier disque où figurent Le gorille et La mauvaise réputation.
La carrière de Brassens est lancée. Il a 30 ans. On se presse pour aller découvrir ce jeune chanteur aux textes sulfureux.
Toutes les salles parisiennes réclament Brassens. En 1954, Bruno Coquatrix reprend l’Olympia, temple du music-hall. Il programme immédiatement le sulfureux Brassens. Georges demande alors à Pierre Nicolas de l’accompagner à la contrebasse pour son tour de chant. Le concert est un tel succès qu’ils reviennent à deux reprises la même année. Ils s’y produisent ainsi neuf fois jusqu’en 1963.
Le succès de Brassens est soutenu par l’essor du vinyle : en 1953, Eddie Barclay est revenu des États-Unis avec la licence des microsillons. Philips se lance dans la fabrication massive de 33 tours et, en 1957, construit une usine à Louviers, intégrant une presse uniquement destinée aux disques de Brassens. En 1984, Brassens a vendu plus de 33 millions de disques.
Bobino est la salle de Georges Brassens. Ce music-hall a le grand avantage de se situer à quelques pas du domicile du chanteur.
D’octobre 1953 au dernier spectacle donné le 27 mars 1977, Brassens s’y produit treize fois, avec la régularité d’un métronome. Il y présente ses toutes nouvelles chansons et enregistre le disque après l’épreuve de la scène.
Au rituel de l’écriture répond le rituel du spectacle qui permet aussi de surmonter le trac. Le rôle et la présence des amis proches, la sobriété du décor et de la mise en scène sont une constante qui, au fil des années, s’impose comme la marque du chanteur.
Dès 1952, Georges Brassens prend part aux tournées qu’organise, chaque année, Jacques Canetti dans le cadre du festival du disque, avec toutes les vedettes de l’époque. Trois mois durant, l’artiste sillonne la France à bord d’une voiture transportant également Püpchen, Onteniente et les guitares, tandis que Pierre Nicolas, la contrebasse et la sonorisation sont dans un second véhicule.
Les incursions à l’étranger sont rares. Brassens n’a pas le goût des voyages. Il s’est néanmoins rendu en Afrique du Nord, en Italie, en Suisse, en Belgique, au Canada et en Angleterre. Dès que possible, l’artiste s’efforcera de ralentir le rythme des tournées et des déplacements à l’étranger, n’acceptant les concerts qu’au compte-goutte, par sympathie pour les propriétaires des salles.
En quelques années, Georges Brassens est devenu un monument de la chanson française. En 1963, il entre dans la prestigieuse collection « Poètes d’aujourd’hui » des éditions Seghers puis reçoit, en 1967, le Grand Prix de Poésie : une consécration pour celui qui se qualifiait humblement de « faiseur de chansons ».
L’artiste refuse néanmoins d’entrer à l’Académie française : « Vous ne me voyez pas avec un bicorne tout de même, ni même aller faire mes visites aux académiciens, ma dignité me l’interdit. »
Devenu l’égal de son modèle, Charles Trenet, il se mue aussi en père spirituel d’une nouvelle génération d’artistes, qu’il soutient par ses premières parties. Au remariage de Jeanne, il quitte l’impasse Florimont pour vivre dans un pavillon bourgeois du XVe arrondissement.
Il ne cesse d’écrire et de composer jusqu’à sa disparition en octobre 1981, qu’il prépare méthodiquement en prenant soin de laisser ses dernières chansons notées dans un carnet.
En préambule à la diffusion du concert donné par Brassens à Bobino en 1969, cette deuxième partie de l’exposition offre différents éclairages sur la postérité de Brassens. On découvre que ce sédentaire, ce héraut de la liberté, a franchi les frontières et séduit un large public hors de France, porté par ses interprètes étrangers : il reste le chanteur français le plus traduit à travers le monde.
L’homme discret s’est retrouvé reproduit sur de nombreux gadgets qui viendront nourrir l’inspiration des jeunes enfants à qui cet espace est largement dédié. La reproduction de manuscrits de Brassens et les guides d’écoute permettent également aux visiteurs d’approfondir leur découverte.