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Portraits de facteurs d’instruments
Famille de facteurs d’instruments à vent au XIXe siècle, les Triebert ont dominé la facture du hautbois pendant près de 40 ans et ont joué un rôle déterminant dans son évolution en perfectionnant le système à clefs.
Guillaume Triebert, le précurseur du hautbois mécanisé en France
Né à Stomdorf bei Alsfed (Hesse) le 24 février 1770, Georg Ludwig Wihelm Triebert suit une formation d’ébéniste peut-être à Laubach. En 1804, il se rend en France à pied pour s’installer à Paris et francise son prénom en Guillaume.
Travaillant tout d’abord comme ébéniste, il intègre la même année l’atelier du célèbre facteur d’instruments à vent Nicolas Viennen. En 1811, un an après son mariage, il devient « maître-facteur », s’établit à son compte et obtient la nationalité française. Guillaume est rapidement reconnu comme un exceptionnel facteur de hautbois. En 1823, pour l’éminent hautboïste Gustave Vogt, il redessine le hautbois baryton mis au point par Charles Bizey. Participant dès 1827 aux expositions internationales, ses hautbois sont jugés supérieurs à tous les autres à l’exposition de Paris de 1834.
En 1840, s’inspirant du système Boehm, il introduit la mécanisation du hautbois avec la mise au point d’un mécanisme se composant d’un nombre variable de clefs et de la lunette de fa#, appelé « système 3 ». Il fournit dès 1840 ce nouveau modèle de hautbois au Conservatoire de Paris . En 1843, le système 4, mis au point par Guillaume ou son fils Frederic, s’impose.
Frederic Triebert, le père du hautbois moderne en France
À la retraite de Guillaume en 1845, son fils Frederic prend les rênes de l’entreprise. Son frère, Charles Louis, sans y tenir un rôle majeur, contribue aux développements techniques du hautbois tout en menant sa carrière d’hautboïste, de compositeur et de professeur au Conservatoire de Paris.
Sous la direction de Frederic, la maison Triebert est à son apogée. Frederic cherche sans cesse à perfectionner la fabrication du hautbois. Il en améliore le mécanisme pour parvenir à la fin du XIXe siècle à un instrument proche de sa facture actuelle. C’est notamment grâce la collaboration d’Apollon Barret (1804-1879) qu’est créé le système 5 en 1849.
Si la maison Triebert est célèbre pour ses hautbois, elle fabrique aussi d’autres instruments à vent. Frederic dépose notamment un brevet pour une clarinette multiphonique en 1847. Le catalogue de la maison Triebert propose aussi des anches qui représentent une importante part du chiffre d’affaires. Frederic s’entoure des meilleurs ouvriers parmi lesquels son contremaitre, François Lorée (1835-1902), qui créera son propre atelier en 1881 et Charlotte Dehais, fabricante d’anches, qui a, de plus, une importance primordiale dans la vie personnelle de Frederic.
La renommée des hautbois de la maison Triebert est immense. Elle fournit le Conservatoire et l’Opéra de Paris. Son frère Charles Louis, professeur au Conservatoire de Paris, y utilise le système 4. Des musiciens fameux jouent des instruments Triebert et contribuent à les faire connaître au-delà des frontières hexagonales, tel Albert Delabarre (1809-1885) qui utilise le hautbois système 4 au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles et lors de ses cours donnés à Gand. Triebert devient le fournisseur du Conservatoire de Bruxelles.
La maison Triebert participent à toutes les grandes expositions de Paris et aux expositions universelles entre 1845 et 1867 où elle remporte plusieurs grands prix. Les instruments Triebert s’exportent en Angleterre, en Belgique mais aussi en Egypte, aux Etats-Unis et en Australie.
Dans le constant souci de contrôler son entreprise et de rechercher d’importants investissements afin de financer ses innovations, Frederic réalise plusieurs partenariats. De 1853 à 1862, il s’associe avec le bassoniste Angelo Marzoli ( ?-1865). En 1855, ils collaborent avec Theobald Boehm sur l’élaboration d'un basson système Boehm. Malgré les éloges suscités par ce modèle de basson, notamment ceux de Jean François Barthélémy Cokken (1801-1875), premier basson de l'Opéra et professeur au Conservatoire, sa commercialisation est un échec. Il est peut-être à l’origine de la rupture de l’association en 1862. L’association avec Pierre Hilaire Martin, de 1868 à 1872, est un désastre financier pour Frederic qui doit payer 20 000 francs à Martin au terme de cette association.
À sa mort, en 1878, Frederic, gestionnaire médiocre, laisse une entreprise endettée et une succession compliquée résultant de son contrat de mariage et de son testament rédigé en 1877.
La succession de Frederic Triebert annonciatrice de la fin de la maison Triebert
En mars 1845, Frederic Triebert épouse Marie Salin (1828- ?), ils ont un fils, Raoul Auguste, né le 20 décembre 1845. Dans le contrat de mariage, Frederic ajoute une clause stipulant qu’il conservera, de son vivant, la propriété exclusive des instruments de musique et qu’il désignera ses représentants par la suite. Souhaitant garder le contrôle sur son entreprise et sa succession, il choisit d’empêcher sa femme d’hériter de l’entreprise selon la norme du droit français.
Vers 1864, Frederic entame une relation avec Charlotte Dehais, principale fabricante d’anches dans l’entreprise, de laquelle naît Adèle Julie Triebert le 25 octobre 1866. Frederic reconnaît le talent et les compétences de Charlotte en rédigeant un testament en 1877 qui en fait sa légataire pour l’entreprise qui, à sa mort, devait être transmise à leur fille. Sa femme, quant à elle, selon les termes du contrat de mariage, conserve les biens qu’elle avait apportés et ceux qu’elle a acquis durant leur mariage.
La tentative de Frederic pour ménager à la fois son épouse et sa vraie partenaire de vie échoue. En effet, la succession est contestée par sa femme et son fils. Le tribunal est alors saisi et décide de la mise en vente aux enchères urgente des biens de Frederic afin de lever des fonds pour acquitter les dettes et d’éviter un arrêt dans l’activité de la maison Triebert.
À la suite de deux ventes aux enchères successives, Charlotte Dehais se porte acquéreur de la société Triebert - atelier, inventaire, équipement et clientèle – pour 24 000 FF. Mais elle ne dirige l’entreprise que durant quelques mois entre 1878 et 1879. En effet, les trois mois d’interruption d’activité de la maison Triebert, entre la contestation du testament et les ventes aux enchères, ont alourdit la charge de l’endettement. L’entreprise est ensuite reprise par Félix François Paris qui occupait un rôle central dans l’entreprise, mais il ne parvient pas à éviter la faillite qui mène à son rachat par Pierre Gautrot en 1881. En 1883, Amédée Couesnon, en acquérant la maison Gautrot, devient propriétaire de la marque Triebert. La maison Couesnon utilisera cette marque sur ses instruments à vent de première qualité jusqu’à au moins 1955.
Du point de vue de la facture instrumentale, le véritable successeur de Frederic Triebert est sans conteste François Lorée, ancien contremaître chez Triebert. Après avoir créé son atelier en 1881, il devient le fournisseur du Conservatoire de Paris un an plus tard, et poursuit l’œuvre de Frederic Triebert en apportant des améliorations à la fabrication des instruments. Il perpétue ainsi l’excellence des hautbois français dans le monde.
Instruments de collection
La maison Triebert, par ses plus éminents représentants Guillaume et Frederic, a établi les caractéristiques définitives du hautbois français. Le système 6, mis au point en 1872, est la base du hautbois actuellement joué. Synonyme d’excellence, la marque « Triebert » sera utilisée jusqu’au XXe siècle par la maison Gautrot. Aujourd’hui, les instruments Triebert fabriqués entre 1811 et 1878 figurent parmi les biens le plus précieux des musées, des collectionneurs et des musiciens. Le Musée de la musique conserve un ensemble riche de 26 instruments Triebert dont 12 hautbois.
Crédits
Illustrations : Marie Declerk, d’après :
- la photo de Frédéric Triebert issue de l’article de G. Burgess,
New Triebert Discoveries
, in Galpin Society Journal, 2012. - la photo de Charles Louis par Antoine-René Trinquart, vers 1860, cop BNF-Gallica