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Dante-Symphonie Franz Liszt
Carte d’identité de l’œuvre : Dante-Symphonie de Franz Liszt |
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Genre | musique symphonique |
Composition | en 1855-1856 |
Dédicataire | Richard Wagner |
Création | le 7 novembre 1857 à Dresde, sous la direction de Franz Liszt |
Forme | symphonie en deux mouvements : I. Inferno II. Purgatorio suivi d’un Magnificat |
Instrumentation | voix : un chœur de femmes ou d’enfants (uniquement dans le Magnificat) bois : 1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, 1 cor anglais, 2 clarinettes, 1 clarinette basse, 2 bassons cuivres : 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, 1 tuba percussions : timbales, cymbales, grosse caisse, tam-tam clavier : 1 harmonium cordes pincées : 2 harpes cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Du piano à l’orchestre
Celui que l’on s’obstine à nommer le grand pianiste, pour ne pas être obligé de convenir qu’il est un des grands compositeurs de notre époque.
Camille Saint-Saëns
Lassé par la vie de virtuose, Liszt décide en 1842 d’un changement radical de carrière musicale : il devient Kapellmeister à Weimar, c’est-à-dire responsable de la musique, en tant que compositeur et chef de l’orchestre de la cour. Lui qui s’était presque exclusivement consacré au piano, comme interprète et comme compositeur, se tourne maintenant vers l’orchestre. C’est à Weimar que naissent ses fameux poèmes symphoniques, dans le sillage de la Symphonie fantastique de Berlioz. C’est également à Weimar que Liszt compose ses concertos pour piano et ses deux symphonies à programme.
À Paris, Liszt, assoiffé de découvertes intellectuelles, s’est progressivement fait le catalyseur des mondes musico-littéraires. Ses deux symphonies témoignent du rapprochement caractéristique du XIXe siècle entre littérature et musique, initié par Berlioz et qu’il a largement repris, et du goût prononcé pour le fantastique : l’une emprunte à Goethe – la Faust-Symphonie de 1854 –, l’autre à Dante.
La Divine Comédie de Dante
Liszt est initié à la poésie de Dante par Marie d’Agoult, alors que tous deux passent de nombreux séjours en Italie dans la seconde partie des années 1830. La légende veut que le couple lise le poète italien assis sur une statue le représentant avec sa muse Béatrice. La forte impression de la Divine ComédieLa Commedia ou Divina commedia est un poème de l’Italien Dante, écrit entre 1307 et 1321, et divisé en trois parties - L’Enfer, Le Purgatoire et Le Paradis -, chacune étant constituées de 33 chants. Le poète y narre un voyage dans l’au-delà, qui constitue l’un des plus forts témoignages, non seulement littéraire mais également religieux, de la pensée médiévale. sur le compositeur suscite en lui l’écriture en 1837 d’une œuvre pour piano, Fragment d’après Dante, qu’il révisera en 1849 : devenue Après une lecture du Dante, elle constituera la dernière partie d’Italie, extrait des Années de pèlerinage. Quelques années après, et alors que Liszt vient de terminer sa Faust-Symphonie d’après Goethe, il s’inspire à nouveau de la Divine Comédie de Dante pour composer une nouvelle symphonie à programme dont les trois mouvements reprennent les trois étapes du voyage exposé dans le poème de Dante.
La Dante-Symphonie
Si Liszt avait dans les années 1840 noté quelques thèmes calqués sur la prosodie du poème de Dante, la composition de la symphonie ne débute qu’au milieu de l’année 1855. Inferno et Purgatorio sont terminés l’année suivante. Bien entendu, après l’enfer et le purgatoire, Liszt souhaite écrire l’ultime étape, le paradis, mais Wagner réussit à l’en dissuader ; pour Wagner, nul compositeur, quel que soit son talent, ne peut recréer le paradis sur terre. Liszt décide alors d’ajouter un Magnificat avec chœur de femmes ou d’enfants, s’enchaînant au Purgatorio. La Dante-Symphonie, dédiée à Richard Wagner, est créée le 7 novembre 1857 à Dresde, Liszt dirigeant l’orchestre. C’est un échec retentissant, en grande partie causé par la contre-performance de l’orchestre. À sa décharge, ce dernier – composé pourtant de véritables virtuoses auxquels Liszt a écrit des parties extrêmement difficiles – n’a bénéficié que d’une seule répétition, bien insuffisante pour cette musique d’une grande richesse et aux exigences instrumentales neuves, comme en témoignent les nombreux commentaires sur la partition, destinés aux musiciens et au chef d’orchestre.
Liszt déploie un orchestre pléthorique. Mais plus que l’effectif, c’est surtout la façon dont il se sert de l’orchestre qui retient l’attention : influencé par Berlioz et Wagner, et tirant profit des orchestrations de ses poèmes symphoniques, Liszt aborde l’orchestre comme il aborde le piano, c’est à dire en virtuose peignant les paysages sonores de son inspiration. Mais contrairement à ses poèmes symphoniques qu’il brossait à grands traits, Liszt suit ici le texte de Dante au plus près, comme en témoigne le premier motif de l’Inferno, rythmiquement calqué sur la prosodie de l’inscription que Dante a fait figurer sur la porte de l’enfer : Per me si va nella città dolente… Lasciate ogni speranza voi ch’entrate
Par moi l’on va dans la cité des douleurs… Abandonnez toute espérance, vous qui entrez
, procédé que Liszt emprunte au plain-chant grégorienchant liturgique médiéval à une voix, non mesuré mais suivant le rythme de la prosodie. Exposé par les trombones, le tuba et les cordes graves, auxquels vont répondre les cors et trompettes, ce motif essentiellement chromatique (qui procède par demi-tons successifs) figure un enfer aussi fantastique que démoniaquecomme un rire sardonique et blasphématoire
indique Liszt, à grands renforts de percussions, de gigantesques contrastes de nuances et d’effets descriptifs quasi bruitistes.
Il n’y a vraiment que le thème souple voire sensuel des amants maudits, Paolo et Francesca, et la présence des suaves harpes, pour adoucir ces abominables ténèbres décrites par un orchestre cataclysmique.
En peintre des sons, Liszt parvient à décrire aussi bien le Purgatorio que l’Inferno : il montre admirablement les errances de l’âme vers la lumière divine. Entre le lyrisme mesuré des mélodies et le caractère méditatif créé par de longues mesures répétitives, ce Purgatoire annonce pleinement le Magnificat final, faisant office de paradis, et auquel il est enchaîné. Pour ce Magnificat, d’une beauté extatique extraordinaire, Liszt puise encore aux sources du plain-chant grégorien. Avec le chœur de femmes ou d’enfants, qui doit rester invisible – ce qui participa à l’échec de la création –, Liszt fait parler les séraphinsSelon la tradition chrétienne, les séraphins appartiennent à la première hiérarchie des anges, décrits dans la vision du prophète Isaïe avec trois paires d’ailes, et dont la fonction est d’adorer et de louer Dieu..
Auteur : Antoine Mignon