Page découverte
Shéhérazade Nikolaï Rimski-Korsakov
Carte d’identité de l’œuvre : Shéhérazade de Nikolaï Rimski-Korsakov |
|
Genre | musique symphonique : suite symphonique, d’après les contes des Mille et Une Nuits |
Composition | de février à juillet 1888 à Saint-Pétersbourg |
Création | en 1889 à Saint-Pétersbourg |
Forme | suite en quatre mouvements : I. La Mer et le bateau de Sindbad II. Le Récit du prince Kalender III. Le Jeune Prince et la jeune princesse IV. La Fête à Bagdad ; La Mer ; Naufrage du bateau sur les rochers |
Instrumentation | bois : 3 flûtes (dont 2 piccolos), 2 hautbois (dont 1 cor anglais), 2 clarinettes, 2 bassons cuivres : 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, 1 tuba percussions : timbales, caisse claire, grosse caisse, cymbales, triangle, tambourin cordes pincées : 1 harpe cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Contexte de composition et de création
En 1887, Rimski-Korsakov entreprend de terminer la composition du Prince Igor, opéra inachevé de son ami Alexandre Borodine, mort en février 1887. L’univers exotique de cet opéra, en particulier dans les chatoyantes et sensuelles Danses polovtsiennes, inspire Rimski-Korsakov qui songe alors à composer une œuvre au caractère oriental d’après les contes des Mille Et Une Nuits : Vers le milieu de l’hiver, parmi les travaux sur le Prince Igor et diverses autres choses, j’eus l’idée d’une pièce d’orchestre d’après certains épisodes de Shéhérazade [...] C’est avec ces projets et avec les esquisses musicales correspondantes que je partis avec ma famille, l’été venu dans une datcha près du lac Tcheremenetski. Au cours de l’été 1888 à Nejgovitsy, je terminai Shéhérazade.
(Rimski-Korsakov dans ses Chroniques de ma vie musicale)
La composition de ShéhérazadePourquoi ai-je donc intitulé ma suite Shéhérazade ? Parce que ce nom, ainsi que le titre des Mille Et Une Nuits, fait naître en tout un chacun des images de l’Orient et de ses merveilles fabuleuses, et qu’en outre certains détails du discours musical font allusion au fait que tous les récits proviennent d’une seule et même personne, cette Shéhérazade, qui a su captiver ainsi la curiosité de son redoutable époux.
(Rimski-Korsakov dans ses Chroniques de ma vie musicale) ne dure que quelques mois, de février à juillet 1888, et l’œuvre est créée en 1889 à Saint-Pétersbourg sous la direction du compositeur. Bien que Rimski-Korsakov soit contre l’idée de donner des titres précis aux différents mouvements de la pièce (qu’il souhaitait intituler de manière abstraite Prélude, Ballade, Adagio et Finale), chacun des épisodes se voit doté d’un sous-titre encore en usage de nos jours : La Mer et le bateau de Sinbad, Le Récit du prince Kalender, Le Jeune Prince et la jeune princesse et La Fête à Bagdad. Cependant, malgré l’inspiration littéraire de l’œuvre, ces titres ne doivent pas être considérés comme un programme, le compositeur insistant sur l’essence purement musicale de Shéhérazade.
Pourtant en 1910, deux ans seulement après la mort de Rimski-Korsakov, Serge Diaghilev utilise la musique de Shéhérazade afin de monter un ballet pour sa troupe des Ballets russes, créé le 4 juin 1910 à l’Opéra de Paris.
Une histoire puisée dans les contes des Mille Et Une Nuits
Le sultan Shahriar, persuadé de la fausseté et de l’infidélité des femmes, tue toutes celles qu’il épouse. La jeune Shéhérazade, fille aînée du grand vizir, lui raconte chaque soir une histoire qui le tient suffisamment en haleine pour qu’il n’ait pas envie de la tuer. Envahi par la curiosité, il désire à chaque fois connaître la fin de l’histoire captivante que lui raconte la jeune femme. Ce sont les fameux contes des Mille Et Une Nuitsrecueil de contes populaires en langue arabe dont les héros les plus connus sont Aladin, Ali Baba ou encore Sindbad. Shéhérazade réussit ainsi à retenir l’attention du sultan durant les nuits de trois années consécutives ! Celui-ci, séduit, finit par la garder auprès de lui.
Caractéristiques des thèmes musicaux
Rimski-Korsakov illustre le récit exotique de Shéhérazade en choisissant avec soin les thèmes et les instruments qui dépeindront chacun des mouvements :
Premier mouvement
Il présente à l’auditeur les deux personnages principaux de l’œuvre, Shéhérazade et le sultan, en faisant appel à deux thématiques au caractère radicalement opposé.
Le thème du sultan dévoile le caractère autoritaire de ce dernier. Interprété massivement par une partie des bois et des cuivres, ainsi que par les cordes dans un registre grave, ce thème est caractérisé par une phrase descendante jouée à l’unisson dans une nuance fortissimo. Le danger que représente le sultan pour Shéhérazade est donc illustré par l’instrumentation, la ligne mélodique et la nuance.
Énoncé au violon solo dans le registre aigu, le thème de Shéhérazade se rapproche du récitatif. Telle une vocalise, la mélodie, soutenue uniquement par des accords arpégés à la harpe, semble hors du temps. Cette courbe, rendue sinueuse notamment par le recours à des notes conjointes, tourne sur elle-même, non sans rappeler les mouvements d’une danseuse. Tous les parfums de l’Orient sont alors à l’honneur.
Ce thème revient de manière récurrente tout au long de l’œuvre.
De par leurs profils thématiques, les motifs de Shéhérazade et du sultan, révélant les caractères de chacun, sont à l’opposé : la douceur de Shéhérazade contraste avec la brutalité du sultan.
La mer, troisième « personnage » de ce mouvement, est figurée par un mouvement continu aux cordes qui déroulent des arpèges et évoquent le rythme des vagues.
Deuxième mouvement
Le thème de Shéhérazade, toujours accompagné par la harpe, est à nouveau entendu : la jeune femme va raconter cette fois une autre histoire, celle du prince Kalender. La « voix » de Shéhérazade s’éteint alors pour laisser place au thème du Prince. Celui-ci se propage progressivement aux différents pupitres : initialement annoncé par le basson, il est ensuite repris au hautbois, aux cordes, puis par tout l’orchestre. Par sa simplicité mélodiquedes notes conjointes, une mélodie qui tourne sur elle-même, etc. et rythmique, ainsi que par sa fraîcheur naturelle, ce thème nous plonge dans l’univers populaire.
Un second thème est entendu au centre du mouvement, interprété par les cuivres : il s’agit d’un thème martial et conquérant. Le thème du prince est ensuite réentendu, cette fois à la clarinette. Les deux thèmes sont alternativement utilisés par le compositeur, jusqu’à un crescendo final de tout l’orchestre.
Troisième mouvement
Intitulé Le Jeune Prince et la jeune princesse, il est plus romantique que les deux premiers mouvements. Alors que l’usage des violons et du phrasé legato contribue à créer une atmosphère de tendresse, la mise en place d’une rythmique proche de la barcarolleforme musicale de mesure ternaire dont la rythmique évoque le balancement d’une barque plonge l’auditeur dans une atmosphère dansante.
Après le tutti de l’orchestre, le thème de Shéhérazade est entendu encore une fois, alors que celui du sultan n’apparaît pas : ce dernier serait-il définitivement envoûté par le charme de Shéhérazade ?
Quatrième mouvement
Il remet en scène les différents thèmes entendus dans les mouvements précédents. Le retour de ces motifs, qui ne cessent de s’entrelacer et d’apparaître sous un éclairage différent, rejoint l’idée des contes des Mille Et Une Nuits dans lesquels tous les récits s’entremêlent. Tout à coup, la voix de Shéhérazade nous apparaît dans l’extrême aigu, de manière très étirée. Cette souplesse traduit sa liberté enfin acquise. L’œuvre s’achève avec, en trame de fond, le thème du sultan refaisant surface mais cette fois-ci de façon très apaisée.
Auteure : Aurélie Loyer