Crédits de l’exposition
- Commissaires : Laetitia Chassain, musicologue ; Emma Lavigne, conservateur au Musée de la musique, Cité de la musique
- Scénographie : Lionel Guyon
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Expositions temporaires du musée de la musique
Six objets, offerts par Edgar Varèse à son disciple et ami André Jolivet (1905-1974), ont fait leur entrée au Musée de la musique. Ces objets, « qu’il faut avoir vus pour goûter leur charme et mesurer leur personnalité » sont plus que des œuvres d’art ; ils sont aussi source d’inspiration, indissociablement liés à la musique qu’ils ont engendrée. Nous sommes en septembre 1933. Jolivet a 28 ans lorsque son maître, Varèse, regagne les États-Unis. Plus de quatre années se sont écoulées depuis leur première rencontre ; quatre ans d’un enseignement hors norme qui marqueront pour Jolivet un véritable tournant dans son approche de la matière sonore. La similitude de leurs personnalités, leurs affinités politiques, leur quête d’universalité, leur force intuitive, tout cela avait alimenté une fascination réciproque.
De longues promenades et d’interminables discussions aux tables des cafés du Montparnasse avaient achevé de nourrir cette relation privilégiée, Varèse présentant à Jolivet le Tout Paris des arts, d’Alexander Calder à Antonin Artaud. Mais le maître est loin désormais ; restent de lui six « fétiches », offerts au moment du départ et témoins de sa vie quotidienne : Beaujolais, un pantin articulé de bois et de cuivre, La Princesse de Bali, une poupée indonésienne en alfa tressé, La Chèvre, un objet suédois en paille, Pégase, un cheval en raphia, et enfin, deux sculptures d’Alexander Calder, L’Oiseau, figure élancée en tôle découpée et La Vache, dont la grâce linéaire du fil de fer n’est pas sans évoquer les mobiles futurs. Famille pleine de charme et de mystère, mariant avec naturel, tout comme le fera Jolivet, les arts savants, premiers et populaires, ces objets forment un tout, indissociable de son univers musical.
Unis par l’esprit de Varèse et compagnons fidèles de la vie de Jolivet, ils lui inspireront bientôt son premier chef-d’œuvre : Mana, une suite de six pièces pour piano de janvier 1935, dédiée à Louise Varèse. Porte ouverte sur un univers de création, les objets de Mana nous plongent ainsi dans le Paris foisonnant des années trente où Jolivet se nourrit des influences les plus diverses, de la vie des sociétés « primitives » à la modernité de Varèse, avant de signer, à la veille du Front Populaire, l’une des œuvres majeures de son temps.
La Suite pour piano Mana, composée du 5 au 28 janvier 1935, apparaît comme le premier chef d’œuvre d’André Jolivet. Symbole d’émancipation et de l’affirmation d’un style personnel, Mana n’en reste pas moins étroitement liée à l’héritage de Varèse. Formée de six pièces, dont chacune s’inspire d’un des objets offert par Varèse à Jolivet en 1933, la Suite est tout entière animée par le Mana, « cette force qui nous prolonge dans nos fétiches familiers », selon la définition donnée par l’épouse de Jolivet et reprise sur la première page de la partition. Entre visées cosmogoniques et quête humaniste, elle illustre parfaitement la vision sociale du monde propre à Jolivet. De plus elle catalyse le sillage esthétique des années trente, marqué notamment par la découverte des musiques extra-occidentales, qui aura un profond impact sur Jolivet, porté par un « primitivisme » musical. Créée par Nadine Desouches le 12 décembre 1935 au premier concert de La Spirale, Mana est donnée avec succès à New York, le 17 février 1936, grâce à Varèse.
Au moment où il regagne les Etats-Unis en 1933, Edgar Varèse offre à André Jolivet, son seul disciple européen alors âgé de 28 ans, six objets qui constituent les témoins de sa vie quotidienne. Fétiches autant qu’œuvres d’art, Beaujolais, L’Oiseau, La Princesse de Bali, La Chèvre, La Vache et Pégase forment non seulement une famille, où le génie de Calder rencontre les traditions populaires, mais de plus, ils sont source d’inspiration et de création indissociablement liés à l’œuvre Mana qu’ils ont engendré, une suite pour piano datant de janvier 1935.
Baptisé ainsi par Varèse, ce pantin séduit par « ses gestes saccadés et son allure vacillante de bon buveur », selon Christine Jolivet ; lié à jamais à l’oscillation de la première pièce de Mana et à ses rythmes insolites qui, dès la 2e mesure, anéantissent toute pulsation régulière.
Rivé sur son socle, cet oiseau vibre sous les pas. Entre terre et ciel, la musique de Jolivet tente de l’arracher à ce sol qu’il picore de violents coups de bec, déployant peu à peu ses ailes, sous l’effet d’un remarquable sens de la projection sonore.
Datant de l’Exposition coloniale et surnommée ainsi par Jolivet « pour la noblesse de son port », cette poupée balinaise libère en musique son énergie intérieure : transe musicale, où violence rythmique et résonance des gongs d’un gamelan imaginaire font de cette pièce l’une des plus spectaculaires.
Bien campée sur ses quatre pattes, cette chèvre, issue de l’artisanat scandinave, nous charme par ce mélange de délicatesse et de solide assurance que traduit l’obstination d’un intervalle de triton, dont la force directionnelle nous mène de bout en bout, avec détermination.
À l’époque du Cirque Calder, le sculpteur métamorphose tout ce qui lui tombe sous la main et s’ingénie à « dessiner » l’espace, ouvert et transparent, comme celui de La Vache. Sa grâce linéaire est célébrée par la mélodie de Jolivet : délicate par la finesse absolue du trait, puissante par la structure de son chromatisme, aux symétries marquées.
Nommé ainsi par Jolivet, ce petit cheval à la crinière bleue n’a rien, a priori, du prestigieux cheval mythique. Clin d’œil à l’humour de Varèse, la modeste monture va pourtant, sous l’impulsion et l’élan vital de cette dernière pièce, se parer des ailes de Pégase.
Avant Varèse, je composais en organisant des notes. Après Varèse, je composais avec des sons.
Le 30 mai 1929, à l’initiative de son maître Paul Le Flem, avec lequel il venait de passer deux années à étudier la rigueur de l’écriture, André Jolivet, alors âgé de 23 ans, rencontre pour la première fois Edgar Varèse. La rencontre est une révélation, de profondes affinités et des visées communes alimentent une fascination réciproque et une sincère amitié, nourrie par de nombreux échanges. L’enseignement auprès de cet « architecte de sonorité », comme le définit Jolivet lui-même, apparaît alors comme un cheminement vers l’émancipation et l’affirmation de sa pleine personnalité musicale. Jolivet de déclarer « C’est à Varèse que je dois d’avoir pris conscience de mon orientation artistique », et de détailler « Les points essentiels que j’ai retenus de la fréquentation de Varèse de 1929 à 1933 sont l’acoustique, le rythme et l’orchestration. »
Les années trente couvrent une période de grande agitation. La situation politique intérieure est instable, et l’on observe l’émergence d’un front anti-fasciste, le Front populaire qui sera au pouvoir de 1936 à 1938, mettant en place de nombreuses réformes qui touchent autant la diffusion artistique que la recherche ou l’enseignement. Paris est une capitale artistique rayonnante. Entre Montmartre et Montparnasse, les échanges et les rencontres entre créateurs d’horizons différents sont nombreux, et la vie musicale se répartit entre les différentes institutions, allant de l’opéra au jazz, des salons de l’aristocratie aux music-hall.
C’est dans ce contexte qu’est fondée La Spirale en 1935, une des quatre sociétés principales de diffusion de la musique contemporaine, où sera créée Mana. Mais, cette période faste est marquée par un autre événement d’envergure. L’ouverture au public, en mai 1931, de la spectaculaire Exposition coloniale au bois de Vincennes, où la découverte des cultures extra-occidentales, constitue un choc pour des millions de visiteurs.