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Expositions temporaires du Musée de la musique
Metal
Diabolus in musica
Exposition du 5 avril au 29 septembre 2024 - Musée de la musique, Paris
Présentation
Saturations, timbres abrasifs, voix d’outre-tombe, iconographies provocantes : le metal est subversif, dans le discours comme dans la forme. Depuis les premières distorsions du hard rock, il y a presque 50 ans, jusqu’à l’explosion du genre en de multiples catégories, le metal électrise et rassemble, telle une lame de fond, toujours plus d’adeptes.
Présent aujourd’hui sur toutes les scènes du monde, il résiste parallèlement aux stéréotypes culturels qui lui sont souvent associés. Sans doute parce que le metal libère des sonorités et des images que la tradition esthétique a longtemps reléguées aux marges de l’art et de la musique.
Véritable contre - culture, le metal n’en est pas moins un imaginaire puissant, inoxydable, dont les ramifications prennent racine aussi bien dans le rock, la littérature et le cinéma populaires, que dans l’art et la musique classiques. Passé jusqu’alors sous les radars des institutions muséales, le genre se confronte ici aux contraintes, mais aussi au pouvoir de dévoilement de l’exposition – la première jamais organisée en France.
Bien sûr, il n’est pas anodin de faire entrer un genre aussi radical à la Philharmonie de Paris. Près de 50 ans après son apparition, il est temps de faire le portrait de cette scène magistrale qui, loin d’être communautaire, innerve le corps et la sensibilité d’un très large public.
Par ailleurs, il nous importe de questionner la valeur esthétique des musiques extrêmes, d’investir le chaos et la transgression qu’elles portent, pour montrer toute la virtuosité qu’elles requièrent, comme leur capacité à renouveler la création visuelle et sonore.
Parcours de l’exposition
MYTHES FONDATEURS
À la fin des années 1960, le rock anglais explore de nouvelles voies. En novembre 1968, pour concurrencer The Who, les Beatles produisent, avec « Helter Skelter », un son neuf que McCartney veut « le plus rauque et le plus lourd possible ».
Mais la révolution vient d’ailleurs : au même moment dans la ville industrielle de Birmingham et en banlieue de Londres naissent Black Sabbath, Led Zeppelin et Deep Purple. Imprégnés des structures musicales du blues et du rock, ils y ajoutent plus de violence et inventent le hard rock : un son plus puissant grâce au matériel d’amplification, une frappe plus lourde, des notes plus graves, des cris brutaux, des thèmes plus sombres.
Tout est conçu pour impressionner le public, du jeu de scène débridé des chanteurs formé par trois tons consécutifs soit un triton, cet « intervalle du diable » ou suite de notes dissonantes appelée au Moyen Âge diabolus in musica. Les tournées faites d’excès et de hauts volumes sonores, le statut d’idoles absolues des artistes jusqu’au nom des groupes lui-même fabriquent un imaginaire qui fait de Black Sabbath, Led Zeppelin et Deep Purple les mythes fondateurs du metal.
Black Sabbath (1968-2017)
What is this that stands before me?Black Sabbath, Black Sabbath, 1970, Vertigo Records
Figure in black which points at me
Turn ‘round quick and start to run
Find out I’m the chosen one
Oh, no!
À l’été 1968, dans la banlieue ouvrière de Birmingham, le guitariste Anthony « Tony » Iommi, le batteur William « Bill » Ward, vite rejoints par le chanteur John Michael « Ozzy » Osbourne et le bassiste Terence « Terry » Butler, dit « Geezer », fondent Polka Tulk Blues Band, qui devient rapidement Earth. « Black Sabbath », morceau d’abord seulement joué en live, puis enregistré l’été suivant, devient le nouveau nom du groupe le 1er août 1969.
On y entend pour la première fois le triton, si connoté dans l’histoire de la musique pour représenter le diable. Les effets sonores distordus et apparemment désynchronisés sont la matrice musicale originelle du metal. Sur le même album, éponyme, figurent d’autres titres qui marquent pour toujours le genre : « The Wizard », référence directe à Gandalf, personnage du Seigneur des Anneaux, ou « Behind the Wall of Sleep », inspiré des textes d’H.P. Lovecraft.
IMAGINARIUM
De nombreux groupes du tournant des années 1970 sont témoins et acteurs des mouvements contestataires de l’époque. L’esprit du temps est à la révolte. La provocation s’impose aussi dans les arts visuels, comme langage et principe de création. L’imagerie trash (à distinguer du thrash metal, plus tardif) refuse le « bon goût » et pointe, en chœur avec la musique, l’hypocrisie et les angoisses de la société.
L'heroic-fantasy et l’occultisme, alors à la mode dans le milieu rock, deviennent des sources d’inspiration majeure pour les musiciens, et leur permettent d’inventer de nouvelles mythologies. Ils investissent également la littérature de science-fiction et ses dystopies politiques.
En particulier, la bande dessinée est le terrain d’invention d’un univers visuel où metal et arts graphiques s’approprient l’un l’autre. Jouant librement de l’ironie et du macabre, l’iconographie qui en résulte relève plus d’un imaginaire et d’un état d’esprit que d’une école artistique.
Le retable des vinyles
L’art classique, en particulier la peinture de la Renaissance et du Romantisme, est une formidable source d’inspiration pour les groupes, du memento mori aux visions infernales, des paysages épiques à la peinture d’histoire mythologique et chevaleresque. Aux images de Jérôme Bosch, Hans Baldung, Arnold Böcklin ou Francisco de Goya, récurrentes dans l’iconographie du metal, répond un goût prononcé pour la littérature.
Les textes et les noms des groupes s’inspirent à la fois de la poésie du XIXe siècle – en particulier Baudelaire – et de la littérature de science-fiction et de fantasy, au premier rang desquels Lovecraft et Tolkien. Ces nouvelles mythologies nourrissent de nouveaux récits, dont les musiciens se saisissent pour créer un univers où les codes visuels et linguistiques se muent en signes de reconnaissance communautaires.
SEPT CHAPELLES
L’origine du terme « metal » fait débat. Il est employé par le groupe rock Steppenwolf dans son tube Born to Be Wild
(1968) ; mais aussi par l’écrivain William Burroughs, qui surnomme l’un des personnages de son roman The Soft Machine (1961) le heavy metal kid.Au début des années 1970, Lester Bangs, pionnier du journalisme « gonzo », l’emploie également dans la revue Creem. Il est définitivement adopté à la fin de la décennie pour désigner un genre musical. Avec des dizaines de sous-genres, initialement rassemblés sous l’appellation « hard rock », le metal est loin d’être unifié sur le plan musical.
Si certains, comme Lemmy Kilmister de Motörhead, se revendiquent toujours du « rock’n’roll », plusieurs chapelles coexistent, aux frontières sans cesse discutées et transgressées par les musiciens et par le public.
Les « reliques » ici réunies couvrent les principaux courants du genre depuis cinquante ans. Elles témoignent d’identités visuelles et musicales diverses, participant toutes d’une culture commune.
Hard rock & Heavy metal
Le heavy metal « traditionnel » descend en droite ligne des pionniers Black Sabbath, Led Zeppelin et Deep Purple. Le milieu des années 1970 voit ainsi émerger Judas Priest, Uriah Heep ou Thin Lizzy au Royaume-Uni et en Irlande ; Alice Cooper, Kiss, Aerosmith ou Blue Öyster Cult aux États-Unis ; AC/DC en Australie.
Ces groupes produisent un son plus lourd que le rock, jouant de la saturation des guitares et de la rapidité du rythme.
Les coiffures deviennent extravagantes, les costumes de plus en plus bariolés. À la fin de la décennie apparaît la New Wave of British Heavy Metal (NWOBHM), au son encore plus puissant et distordu, préfigurant le thrash metal.
Motörhead, bien que difficile à classer, en est le précurseur ; le genre comprend également Iron Maiden, Saxon ou encore le très mélodique Def Leppard.
Dans les années 1980, les tournées du heavy metal réunissent des centaines de milliers de spectateurs. La diffusion du genre par les médias comme MTV contribue largement à sa popularisation.
CULTE COLLECTION
Culture de l’objet par excellence, le metal produit quantité d’articles de merchandising. Le pionnier est sans doute le groupe Kiss, dont la production va du flipper au décapsuleur, en passant par la tétine pour enfant.
Chaque metalhead collectionne des objets participant à façonner son identité metal. Affiches de films cultes, objets du quotidien « brandés » ou customisés, disques rares, bijoux et vêtements prolongent l’expérience de la culture metal dans la sphère intime. À l’instar de la collection des places de concert, ces objets relèvent de la mémoire d’un passé collectif.
CULTURES LOCALES
Si le metal naît et se développe dans la sphère occidentale, il fait des émules dès les années 1980 tout autour du globe et dans tous les sous-genres. Apparaissent ainsi une multitude de groupes aux styles variés, mêlant systématiquement les éléments du metal occidental – chant, guitare électrique, batterie puissante – aux instruments ou aux codes esthétiques propres à chaque sphère culturelle.
Ainsi en est-il des Japonais Ningen Isu (1987-), des Brésiliens Sepultura (1984-), des Mongols The Hu_(2016-), tout comme des Israéliens Orphaned Land (1991-), des Indiens Bloodywood (2016-) et des Togolais Arka’n Asrafokor (2010-). Les enjeux de ces scènes sont tout à la fois politiques, économiques et culturels : le metal peut aussi bien servir de vecteur à des revendications sociales, que répondre à une demande commerciale occidentale en quête d’exotisme.
SCÈNE FRANCAISE
La scène hard rock et metal underground française apparaît dès la fin des années 1960. Soutenu par la presse spécialisée naissante, Trust, pionnier du hard rock dès 1977, place la France sur la carte mondiale du metal, avec Satan Jokers, Warning, Attentat Rock, Vulcain, Blasphème, Sortilège, ADX.
L’évolution du genre en France suit la dynamique britannique et américaine : dès les années 1980 naît une scène plus extrême (Loudblast, Agressor, No Return). Au cours des années 1990, s’installe le genre fusion (Mass Hysteria, Lofofora, No One is Innocent), conduisant à l’émergence du nu metal français (Aqme, Pleymo, ETHS, Dagoba).
Le metal en France couvre aujourd’hui tous les sous-genres. La tournée internationale de Gojira en 2023 est la plus importante jamais réalisée par un groupe français. Néanmoins, la majorité de la scène demeure underground. Cette salle rend hommage aux nombreux groupes français et aux petites scènes, souvent associatives et véritables lieux de vie du metal en France.
GUITAR HEROES
Si la virtuosité n’est pas une caractéristique de tous les genres du metal, elle reste un symbole, associé à quelques grandes figures des années 1970 et 1980. Ces musiciens sont ainsi héroïsés et vénérés en raison de leurs capacités techniques et de leur créativité mélodique. Ils pratiquent tous le shredding, jeu extrêmement rapide mêlant distorsion, rapidité à la main gauche, whammy bar servant à bouger le chevalet pour varier la hauteur du son, et tapping, consistant à appuyer sur la touche de la guitare avec les doigts des deux mains pour jouer plus rapidement.
Ces guitar heroes, aux solos devenus mythiques, s’imposent comme un modèle à suivre. Cette salle regroupe cinq guitares, à la fois emblématiques par leur design et la virtuosité de leur propriétaire. Solitaires mercenaires du son, aucun n’a eu de groupe fixe.
ENGAGEMENTS CONTROVERSES
La nature provocatrice du metal a suscité de nombreux scandales dans les années 1980 et 1990, notamment les retentissants procès de Judas Priest et Ozzy Osbourne, accusés de pervertir la jeunesse.
La scène black metal s’est montrée d’une extrême violence en Norvège au tournant des années 1990, avec plusieurs incendies d’églises et affaires de meurtres. Elle assume même, voire revendique, cet historique délétère. Pourtant, nombreux sont les engagements d’artistes et de musiciens qui forcent à rectifier cette vision caricaturale du metal et les représentations sociales qui l’accompagnent.
Dans l’oeuvre You Can Lick Mother Mary’s Asshole in Eternity, l’artiste Élodie Lesourd critique les dérives idéologiques de certaines figures de la scène black.
Par ailleurs, il importe de rappeler que le metal est historiquement un genre contestataire. Certains groupes, comme Gojira, Lofofora ou Rage Against The Machine, portent ouvertement des combats humanistes, qu’ils soient politiques ou écologiques.
LE PIT
La musique metal est d’abord une musique qui se vit. En concert, par l’intensité des volumes sonores et les vibrations des instruments, elle engage le corps entier des metalheads, qui ont développé des danses collectives devenues constitutives du genre : leheadbang, puis le mosh pit (héritier du pogo punk), les circle pits et autres wall of death. Ces images tournées au coeur du Hellfest en 2023 permettent de revivre, de l’intérieur, la puissance cathartique du metal.
Crédits de l’exposition
- Commissaires : Corentin Charbonnier, Milan Garcin
- Conseillers scientifiques : Jean-Pierre Sabouret, Christian Lamet
- Cheffe de projet : Julie Bénet
- Scénographie : Achille Racine, Clémence La Sagna, Assisté de Youssef Dhrif, Victorien Pangaud, Justine Conraud
- Chargée de production : Pauline Méry, Assistée de Claire Bonnem, Chloé Emile, Anouck Nouvel-Papaïconomou
- Graphiste : Fortifem
- Conception et réalisation audiovisuelle : Matthias Abhervé, Inès Saint-Cerin, Rafaël Gubitsch, Camille Corbel
- Eclairage : Serge Derouault