Exposition du 10 octobre 2003 au 25 janvier 2004 - Musée de la musique, Paris
Introduction
Après avoir fait leurs débuts au sein de divers groupes, le chanteur guitariste Syd Barrett, le bassiste Roger Waters, le claviériste Richard Wright et le batteur Nick Mason créent Pink Floyd en 1966.
Pionniers du rock psychédélique anglais, précurseurs du rock progressif au milieu des années soixante, les musiciens s’imposent par une musique futuriste en perpétuelle évolution.
Le parcours de l’exposition retrace l’odyssée du Floyd grâce à des prêts exceptionnels consentis par le groupe et grâce au concours du directeur artistique de l’exposition Storm Thorgerson fondateur d’Hipgnosis, qui donne au groupe son identité visuelle depuis A Saucerful Of Secrets.
Roger Keith Barrett dit Syd Barrett (6 janvier 1946), Georges Roger Waters (6 septembre 1944), David Gilmour (6 mars 1946), Nicholas Berkeley Mason dit Nick Mason (27 janvier 1944) et Richard William Wright dit Richard Wright (28 juillet 1945), les cinq principaux membres du groupe, n’auront joué ensemble que quelques mois en 1968.
C’est tout d’abord au Cambridge College of Art and Technology que Roger Waters fait la connaissance de Syd Barrett et de David Gilmour en 1962.
Roger Waters, Nick Mason et Richard Wright se rencontrent, quant à eux, peu de temps après à la Regent Street Polytechnic de Londres, alors qu’ils étudient l’architecture.
Waters forme avec ces deux derniers le groupe Sigma 6, dont il est le chanteur-bassiste, et qui se produit dans les soirées étudiantes. Plusieurs formations de succèdent : T-Set, The Meggadeaths, The Architectural Abdabs et The Screaming Abdabs.
Ce dernier groupe se compose de deux chanteurs, Keith Noble et Juliette Gale, un bassiste, Clive Metcalf et un clavier, Mike Leonard.
La musique est alors basée sur des reprises de Rythm’n’Blues et le groupe se dissout après le mariage de Juliette Gale et de Richard Wright.
Roger Waters, souhaitant un son de guitare plus percutant, fait alors appel à Syd Barret, son vieil ami de Cambridge.
Les Spectrum Five voient le jour fin 1964 puis, sous l’influence de Barrett, deviennent le Pink Floyd Blues Band et finalement Pink Floyd.
Barrett a l’idée de joindre les prénoms de deux bluesmen (Pink Anderson et Floyd Council) issus de sa collection de disques.
Le Floyd peut alors commencer son envol début 1966.
The Piper At The Gates Of Dawn
Durant les années 1966-1967, aux côtés des Beatles, Rolling Stones, Yardbirds, Kinks et Who, les musiciens de Pink Floyd, guidés par l’inspiration de Syd Barrett, deviennent le fer de lance de l’avant-garde sonore. Influencé tout à la fois par les opérettes de Gilbert & Sullivan, le folk électrifié de Bob Dylan, les envolées lyriques de Love, le free-jazz de John Coltrane et de Sun Ra, les expérimentations de Frank Zappa et Jimi Hendrix, Pink Floyd puise également son inspiration dans la littérature anglaise.
Leur premier album The Piper At The Gates Of Dawn reste cependant une œuvre à part dans l’histoire du rock et apparaît comme la formulation sonore d’un rêve, une marche vers un ailleurs.
A Saucerful Of Secrets
Fin 1967, Syd Barrett se laisse submerger par la drogue et se montre incapable de répéter et de jouer sur scène.
Les musiciens doivent se résoudre à engager un autre guitariste. Après avoir envisagé d’enrôler Jeff Beck, c’est finalement David Gilmour, son copain de Cambridge, qui est recruté. En juillet 1968, le groupe sort A Saucerful Of Secrets, album de transition entre le psychédélisme de Syd (qui collabore aux titres Jugband Blues, Remember A Day) et le rock progressif élaboré collectivement par le groupe.
Enregistré dans les légendaires studios d’Abbey Road, A Saucerful Of Secrets est illustré d’une énigmatique pochette introduisant Storm Thorgerson et son agence de graphisme Hipgnosis dans l’histoire des Pink Floyd. L’album met en valeur le jeu d’orgue de Rick Wright, le roulement de tambour de Nick Mason, tout autant qu’il révèle Roger Waters en parolier inspiré et David Gilmour en soliste lumineux dont les phrasés guitaristiques vont devenir la marque de fabrique du nouveau Pink Floyd.
Sorte de bilan marquant la fin des années 1960, Ummagumma, premier double album de Pink Floyd, s’orchestre en deux parties. La première est enregistrée en public en 1969, lors des concerts donnés à Birmingham et à Manchester. Elle propose quatre longs morceaux cérébraux dont une version hallucinante de Careful With That Axe, Eugene (« Sois prudent avec cette hache, Eugène »), pièce d’anthologie dont le cri primal, à la fin du morceau, fait exploser la tension progressive de celui-ci.
La seconde partie, enregistrée en studio, contient des compositions expérimentales révélant la personnalité musicale de chaque membre : la dimension spatiale et mélodique de Gilmour, la tonalité plus pop de Waters, le jeu posé de Wright et la recherche rythmique de Mason.
Ummagumma marque l’apogée d’un groupe en pleine possession de son art et manifeste l’indépendance stylistique de chacun de ses musiciens.
Musiques de films
Passé maître dans l’art d’inventer une musique suscitant de nombreuses images dans l’inconscient du public, Pink Floyd rencontre naturellement le septième art et se voit proposer la composition de plusieurs bandes originales de films. C’est d’abord Barbet Schroeder qui, en 1969, commande au groupe la bande sonore de son film More, mettant en parallèle Éros et Thanatos, la jouissance du sexe et la descente en enfer des paradis artificiels dans le décor idyllique de l’île d’Ibiza.
Pink Floyd propose pour la première fois des compositions interprétées à la guitare acoustique (Cirrus Minor, Crying Song, Green Is The Color, A Spanish Scene).
En 1970, le groupe participe à la bande originale du film Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni, un road movie sur fond de révolution estudiantine et d’amours instantanées. Le morceau Come In Number 51, Your Time Is Up, variation de Careful With That Axe, Eugene, accompagne la séquence finale d’anthologie dans laquelle une villa explose en plein désert californien.
En 1972, Barbet Schroeder fait à nouveau appel à Pink Floyd (qui enregistre alors The Dark Side Of The Moon) pour la musique de son nouveau film, Obscured By Clouds (« La Vallée »).
Atom Heart Mother
Poursuivant l’exploration avant-gardiste entamée sur la partie studio de l’album Ummagumma, Atom Heart Mother est fabriqué avec l’aide d’Alan Parsons, ingénieur du son et de Ron Geesin, compositeur, responsable des orchestrations, avec section de cuivres, violoncelle et chœur classique.
Enregistré aux studios d’Abbey Road dans des délais très courts, Atom Heart Mother cristallise la formule musicale de Pink Floyd autour d’un space rock symphonique. Il introduit par ailleurs pour la toute première fois des bruitages sous forme de collages sonores. Un robinet qui fuit, une fenêtre qui s’ouvre, une allumette qui craque, un réchaud à gaz qui s’allume : Alan’s Psychedelic Breakfast, enregistré dans la cuisine de Nick Mason, souligne l’intérêt du Floyd pour la « musique concrète ».
Premier album du groupe à caracoler en tête des ventes britanniques, Atom Heart Mother marque l’avènement du rock spatial et progressif, projetant Pink Floyd dans une nouvelle dimension.
24 mars 1973 : Pink Floyd, jusqu’alors considéré comme un groupe underground et expérimental, sort The Dark Side Of The Moon. La pochette de l’album, réalisée par Storm Thorgerson, révèle un prisme énigmatique où les couleurs de l’arc-en-ciel sont déclinées sous forme d’électrocardiogramme. Cette « Face sombre de la Lune » marque l’aboutissement de sept années de recherches sonores et musicales.
Au sommet de leur créativité, les musiciens travaillent dans un souci de perfection et excellent dans l’hybridation de sons de synthétiseurs high-tech. Entrecoupées de collages sonores (battements, bruits d’avion, cris divers, tiroir-caisse, carillons, pendules, horloges, réveils, etc.), les paroles des chansons reprennent des thèmes inspirés par la condition humaine, le temps, l’argent, l’aliénation, la violence, la folie, la mort.
The Dark Side Of The Moon montre la maturité d’un groupe au sein duquel les musiciens sont en symbiose.
Les compositions sont partagées équitablement entre les quatre membres du groupe. Speak to me, Breathe et Time sont même composés conjointement par Mason, Waters, Gilmour et Wright . L’album, véritable épopée contemporaine, détient le record de longévité dans les hit-parades américains (plus de quinze ans!) et figure parmi les cinq albums les plus vendus au monde : plus de trente millions d’exemplaires à ce jour.
Un sentiment plus mélancolique semble s’être emparé de cet album, qui marque le dixième anniversaire de Pink Floyd. Les titres principaux, Shine On You Crazy Diamond et Wish You Were Here, sont largement interprétés comme des élégies au leader perdu de la formation, Syd Barrett. On le voit d’ailleurs se présenter, de manière inattendue et fantomatique, aux studios d’Abbey Road durant l’enregistrement.
Des deux côtés de l’Atlantique, l’album est un miracle musical qui grimpe dès sa sortie à la première place des ventes.
Premier album écrit et composé par Roger Waters (à l’exception de Dogs cosigné avec David Gilmour), Animals est entièrement enregistré dans les nouveaux studios du groupe, une ancienne église désaffectée, située à Britannia Row dans le nord de Londres, équipée d’un magnétophone vingt-quatre pistes.
Animé par la colère que suscite la sensation d’oppression pesant sur la société anglaise de l’époque, Animals est un album concept dont le thème principal renvoie au roman Animal Farm de George Orwell, dans lequel les animaux d’une ferme anglaise se révoltent et se proclament tous égaux, jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle classe d’exploiteurs, les cochons (pigs voulant dire flics en argot).
Fresque obscure et tourmentée dépeignant une société moderne en pleine crise, Animals paraît en 1977, au moment où le mouvement punk explose et hurle des slogans nihilistes comme « No Future! ».
The Wall
Double album conceptuel particulièrement ambitieux, The Wall marque l’apogée des aspirations théâtrales et musicales de Roger Waters. Il fait appel au producteur Bob Ezrin (également producteur de Lou Reed, Alice Cooper, Kiss, etc.) pour enfanter ce monstre sacré marquant la fin de l’âge d’or du groupe. Exténué par plusieurs mois de tournée, Waters commence à prendre conscience que, dans le sillage de son écrasant succès, Pink Floyd court le danger de perdre le contact avec son public. Le point critique semble atteint lors de la fin de la tournée Animals de 1977.
The Wall est une œuvre ancrée dans la noirceur, le désenchantement et révélatrice de la vision pessimiste de Waters.
Another Brick In The Wall devient le plus grand tube de Pink Floyd, confortant Roger Waters dans sa position de leader du groupe.
L’exécution de l’album en public constitue un nouveau triomphe pour les Floyd. C’est du grand spectacle de rock and roll : le fameux mur qui se construit petit à petit efface tous leurs précédents coups de théâtre - les cochons, les avions, les symboles planétaires. The Wall révèle l’expressionnisme cruel des dessins animés de Gerald Scarfe.
Le film The Wall d’Alan Parker sera projeté en avant-première au Festival de Cannes le 23 mai 1982.. Les dessins à la fois fantasmagoriques et réalistes de Scarfe accompagnent idéalement les musiques et dégagent une émotion intense.
The Final Cut
Treizième album du groupe, il s’agit davantage d’une œuvre de Roger Waters qui écrit tous les titres.
Epilogue de The Wall, l’album marque la fin de la collaboration entre Waters et Gilmour et le départ de Waters qui pense avoir écrit avec cet album la dernière page de l’histoire du groupe.
Après le départ de Roger Waters, David Gilmour reprend la direction musicale du trio. La tendance à l’introspection caractéristique des albums antérieurs apparaît en filigrane dans A Momentary Lapse Of Reason qui, en 1987, marque le retour du Floyd et consacre Richard Wright aux claviers.
Après une tournée mondiale spectaculaire de quatre années à guichet fermé, révélant un impact visuel sans précédent, Pink Floyd enregistre en public The Delicate Sound of Thunder.
Au début de 1993, les membres du groupe se réunissent pour leur dernier album en studio à ce jour, The Division Bell, dont le titre est inspiré par l’écrivain de science-fiction anglais Douglas Adams. L’album évoque les années Cambridge à travers High Hopes et s’adresse une fois encore à Syd Barrett au fil de la chanson Poles Apart.
Au cours des années 60, émerge le psychédélisme, un état de rêve éveillé provoqué par certains hallucinogènes, notamment le L.S.D.
Sous l’emprise de ces substances psychotropes, les perceptions de temps, d’espace, de formes et de couleurs sont altérées et subissent des distorsions.
Cette explosion multicolore et multisonore transcende l’esthétisme et libère les consciences. La mode, l’art et le graphisme s’en trouvent transformés : c’est la naissance du Pop Art (inventée par Lawrence Alloway à la fin des années cinquante, l’expression indique que l’art prend appui sur la culture populaire de son temps mais sur un mode ironique).
Musicalement, c’est une véritable révolution. La musique pop s’enrichit par l’apport d’instruments classiques et orientaux : se côtoient le clavecin, le mellotron (clavier capable de restituer des sons de violon, flûte, cuivres avec des bandes pré-enregistrées), le sitar, le tabla, les pédales d’effet (wah-wah, fuzztone...), sans oublier la technique des bandes magnétiques passées à l’envers, inventée dès 1966. Les concerts proposent des light shows délirants et les musiciens s’affublent d’accoutrements de dandys acidulés.
L’heure est au pouvoir des fleurs (Flower Power) et l’été 67 est celui de l’amour (Summer of Love).
Politique et libertaire, le psychédélisme américain, dont l’épicentre est San Francisco, dénonce la guerre du Viêt-nam et milite en faveur de l’émancipation des mœurs.
Le psychédélisme anglais, dont le cœur est Carnaby Street à Londres, se révèle plus pop et surtout empreint d’un onirisme inspiré des contes de Lewis Carroll, de l’imaginaire métaphorique de William Blake et de la poésie surréaliste française.
Synonyme d’avant-garde, d’expérimentation et de libération des consciences, le psychédélisme est une bouffée d’air frais dans la chambre asphyxiante d’un conservatisme puritain post-victorien.
Le rock progressif, difficile à cerner par sa mouvance, est proche de deux mouvements musicaux contemporains : le psychédélisme, auquel il emprunte le mysticisme des textes, la rupture d’une trame musicale binaire (solos de guitares, improvisations..) et le free-jazz de John Coltrane, Miles Davis et Sun Ra, qui exacerbe la créativité des musiciens.
Le rock progressif transgresse de ce fait les frontières entre rock, jazz, et musique classique.
Les structures des compositions s’étoffent et se diversifient. Loin du schéma couplet-refrain-pont-refrain, les rythmiques deviennent plus complexes, les lignes mélodiques percussives plus travaillées ; la gamme des instruments s’élargit avec violon, flûte, synthétiseurs Moog, mellotron, chœurs et orchestre de cordes.
La trame de base s’étend et peut atteindre 25mn (première face d’Atom Heart Mother), soit la durée d’une face d’un 33 tours. Les morceaux courts s’enchaînent les uns aux autres. L’imagination des auteurs peut dès lors donner sa pleine mesure.
Les textes, ainsi que les pochettes, peuvent tout aussi bien puiser dans la science-fiction, le fantastique et la bande dessinée. Ils tendent de plus en plus à scénariser et conceptualiser un thème, une histoire, une odyssée.
A ce titre, The Dark Side Of The Moon est l’exemple même d’album conceptuel du rock progressif.
Crédits de l’exposition
Commissaires : Emma Lavigne, conservateur au Musée de la musique, Cité de la musique
Scénographie : Agence Beckmann N’Thépé
Direction artistique : Storm Thorgerson
Textes pédagogiques : Frédéric Lecomte
Design sonore : Studio Abria - Patrick Abrial
À voir aussi
Instrument du Musée de la musique
Synthétiseur Synthi A - EMS
Ce type de synthétiseur a été utilisé par des musiciens de rock et de pop (Brian Eno, les Pink Floyd dans On the run en 1973, Jean-Michel Jarre, mais aussi des compositeurs de musiques de films...).
Le Mellotron (melo-dy et elec-tron-ics), instrument électromécanique à clavier, fut produit dès 1964 par la compagnie la Mellotronics Limited. Le model 400, créé en 1970, offrait la possibilité de jouer des accords, ce que ne permettaient pas encore les synthétiseurs. Ce fut là une des raisons de son succès.