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Histoires d’instruments : les luths d’Orient
C’est en Orient que l’on trouve les premiers témoignages sur les origines du luth. Instrument facilement transportable, le luth s’est largement répandu dans tout le continent asiatique jusqu’en Afrique de l’ouest. Il s’est alors adapté aux traditions musicales locales, transformant sa forme et sa sonorité et adoptant à chaque fois un nom différent.
Instrument soliste, il accompagne le chant et peut occuper une place au sein d’un ensemble instrumental.
Histoire de l’instrument
La question de l’origine des luths est complexe et source d’éternelles interrogations. Les plus anciens témoignages iconographiques nous informent sur la présence du luth au Moyen-Orient dès le IIIe millénaire. Notre connaissance de ses développements depuis la plus haute l’antiquité jusqu’au premier millénaire de notre ère ne nous donnent toutefois qu’une image fragmentaire de son histoire et de sa diffusion.
Le terme générique luth se rapporte à la famille des cordophones et désigne un instrument à cordes pincées dont la caisse de résonanceC’est « l’enceinte acoustique » de l’instrument qui supporte la table d’harmonie. On l'appelle aussi dos. hémisphérique, ovale ou piriforme, est prolongée par un manche plus ou moins long, lisse ou doté de frettesMorceaux de corde de boyau noués autour du manche ou petites barrettes de bois, d’ivoire ou de métal, incrustées sur la touche. Elles divisent le manche en demi-tons. Les frettes du sitar sont de simples barrettes métalliques convexes fixées au manche à l’aide de cordelettes de lin, et le long duquel sont tendues des cordes.
Deux types de luths se distinguent clairement : les luths à manche long, de type tanburNom générique de la famille des luths frettés à manche long répandus sous diverses appellations en Asie centrale (dombra,dotar, setar, etc.). et les luths à manche court, comme le ‘ud ou le rabab.
- Les hautes civilisations du Moyen-Orient nous livrent les témoignages les plus anciens de l’existence de luths à manche long : plus précisément en Mésopotamie et plus tard en Egypte (entre 1630 et 1539 avant J.C). Un luth en parfait état de conservation, muni de ses cordes, a été découvert à Thèbes, dans une tombe datant d’environ 1490 avant J.C. Ce type de luth, également représenté sur les fresques des nécropoles, a voyagé jusqu’en Afrique de l’Ouest où il est encore joué de nos jours.
- Le luth à manche court a lui aussi des origines orientales. Des reliefs sculptés appartenant à la civilisation gréco-bouddique du Gandhâra (Afghanistan et Nord-Ouest de l’Inde), nous montrent ce type d’instrument à manche court et large caisse piriforme, pincé avec un plectrePièce d’écaille, d’os, de plume ou de métal qui remplace le doigt ou l’ongle du musicien pour mettre la corde en vibration..
Ce luth du Gandhâra a très certainement ensuite emprunté la route de la soie vers l’Est. Le pipa chinois ainsi que le biwaCinq instruments anciens datant de la période Nara (710-759), époque à laquelle le biwa fut introduit au Japon, sont conservés parmi d’autres objets au sein du Shōsōin, le sanctuaire des trésors impériaux du Japon. Sur l’un d’eux, la table est recouverte en son milieu d’un décor représentant un musicien d’Asie centrale jouant de son luth sur un chameau japonais en conservent aujourd’hui les traits frappants. Mais ce luth à manche court a aussi parcouru dans d’autres directions les vastes étendues de l’Asie centrale pour donner naissance au barbat de Transoxiane qui lui-même serait l’ancêtre du ‘ud.
Les luths, comme les vièles, sont les parfaits compagnons de route des musiciens itinérants. Facilement transportables, légers, ils traversent les frontières, circulent librement sans se soucier des limites territoriales, subissent des transformations au gré d’emprunts et d’échanges, s’adaptent aux besoins d’une musique, d’une tradition. Fleurit alors une grande diversité de formes et de sonorités, adoptant différents noms, parfois très proches pour désigner des instruments parfois très différents (setarDans la musique classique persane, petit luth piriforme à manche long, dont la caisse de résonance est le plus souvent en bois de mûrier. Il est sans doute le résultat de la transformation du tanbur (ou dutar) du Khorasan, région située au nord-est de l’Iran actuel, tar, tanbur, tampura, pandouri, dombra, rabab, rebab, pipa, biwa…).
Quelques exemples suffisent à en montrer la large diffusion.
Le Moyen-Orient :
Improvisation
Concert enregistré à la Cité de la musique
le 12 septembre 2012
Noureddine Aliane, ud Georges Nahhât 1931
Probablement affilié au luth à manche court barbat de la Perse sassanide, le ‘ud apparaît dès le VIIe siècle dans la péninsule Arabique mais n’est attestée qu’au IXe siècle, époque à laquelle il jouit d’un grand prestige à Bagdad. Avec l’expansion de l’Islam vers l’Ouest et la constitution d’un califat omeyyade à Cordoue, le ‘ud est introduit en Andalousie. Son histoire en Europe - le luth occidental est son héritier direct -, au Maghreb et au Moyen-Orient ne cessera de se développer au cours des siècles suivants.
L’Asie centrale :
Le saz,Selon les régions et les cultures, ce luth se décline en tailles différentes, possède des formes et des volumes de caisse variables, est muni ou non de frettes et a un nombre spécifique de cordes en métal ou en soie. luth à manche long de la famille des tanbur, s’est répandu depuis la péninsule balkanique jusqu’aux confins de la Chine. Son origine se perd probablement dans les régions de Transoxiane et du Khorassan – au Xe siècle, le musicologue Al’Farabi décrit un tanbur du Khorasan – Il est mentionné à la cour timuride d’Hérat dans la première moitié du XVe siècle mais n’apparait que plus tardivement en Turquie.
Le tarTerme d’origine persane, signifie « corde ». Désigne un luth iranien, dérivé semble-t-il du setar mais il est aussi répandu dans certaines contrées d’Asie centrale et du Caucase. appartient à la famille des rabab, instruments persans dont la présence est attestée au moins depuis le XVIe siècle en Asie Centrale, au Caucase et en Iran. Le tar semble apparaître en Iran au XIXe siècle où il est frontières d’origine et l’on distingue aujourd’hui deux types d’instruments, le tar persan et le tar caucasien qui diffèrent essentiellement par leurs dimensions et leurs nombres de frettes.
Le Sous-continent indien :
Three ragas
Concert enregistré à la Cité de la musique
le 22 mai 2008
Anoushka Shankar, sitar Tanmoy Bose, tabla, tambour Nick Able, tanpura
Le sitar, issu de la vaste famille des tanbur, apparaît à Delhi au milieu du XVIIIe siècle à une époque où, malgré de graves désordres politiques, la capitale conserve un pôle artistique florissant et attractif. Très vite, le sitarA l’origine, le sitar est aussi appelé setar en raison de sa filiation directe avec le setar persan (se « trois », et tar « cordes »). Le sitar possède une morphologie proche de celle de son cousin persan, tandis que d’autres détails le rattachent à la tradition indienne : le chevalet plat inspiré de celui de la bin et le résonateur en calebasse. s’impose en milieu urbain, accompagnant danses et chants populaires. Il devient un instrument majeur du répertoire classique hindoustani dans le courant du XIXe siècle.
L’Extrême-Orient :
Le sanxian appartient également à la famille des tanbur. Il apparait en Chine vers le IIe siècle avant J.C. sous la dynastie des Han et voyagera, comme le pipaLuth de forme oblongue, muni de quatre cordes. Introduit en Chine par les Barbares dès le début de notre ère, le pipa est un des plus anciens instruments utilisés aujourd’hui. et bien d’autres instruments, vers le Japon sous les Tang (618 – 907). Il deviendra alors le sanweixian ou shamisen.
Le luth biwaest introduit de Chine au Japon vers la fin du VIIe siècle. Ses origines remontent à la riche période gréco-bouddhique qui se développe en Asie centrale et se propage ensuite en Extrême-Orient avec le Bouddhisme, via l’Inde et la Route de la Soie. Son ancêtre le plus direct, le pipa, serait arrivé en Chine vers le IIIe siècle.
Bai Ju-yi
Concert enregistré à la Cité de la musique
le samedi 26 mai 2007
Wang Shin-shin, chant, pipa
Quelques soient les époques et les pays, le rôle premier du luth, comme celui de la vièle, est d’accompagner le chant, qu’il soit religieux ou profane, savant ou populaire. La poésie chantée est le genre musical par excellence de l’improvisation par laquelle le musicien peut exprimer, dans des compositions combinant rythme et mélodie, son talent musical et sa virtuosité.
La prière et la méditation sont soutenues par le tanbur Kurdistan iranien tandis que le tanbur afghan est utilisé principalement dans la musique populaire traditionnelle. Dans certaines cultures, le luth devient l’instrument par excellence d’une musique d’art raffiné, comme le tanbur turc, le sitar de l’Inde du Nord ou le ‘ud qui, traditionnellement, accompagne le chant classique mais qui possède également un répertoire soliste. Au japon, le luth gakubiwa est l’instrument joué dans la musique de cour gagaku et dans d’autres traditions, comme celles du Turkestan, le tanbur est utilisé dans des musiques rituelles. Le rababLuth échancré à manche court. Le rabab afghan ou kabouli est associé aux populations pathan (pashtoun) de l‘Afghanistan oriental et du Nord du Pakistan . Il était autrefois joué par une communauté de bardes, musiciens héréditaires dont l’activité principale consistait à accompagner les opérations militaires pour jouer sur les champs de bataille. Le rabab indien diffère quelque peu du rabab afghan et présente une caisse plus importante d’Afganistan assure quant à lui les deux fonctions. Il est considéré par les afghans comme l’instrument national. Le pipa occupe une place de choix dans les musiques chinoises, savantes aussi bien que populaires. Il offre une grande richesse d’expression : le musicien peut décrire, avec toute une technique de bruitage sur la table et les cordes, des scènes de bataille, aussi bien que développer un jeu mélodique en soliste ou en accompagnement du chant. Si le luth est prédisposé à une fonction d’accompagnement en soliste, il s’intègre néanmoins parfaitement au sein d’ensembles instrumentaux. En Azerbaïdjan, le luth tar est entouré du tambour daf et du kamanché, vièle à archet, pour interpréter le mugham, genre savant teinté d’influences turques et arabe. Dans la musique arabo-andalouse, on entend le ‘ud au côté des tambours tarr et daraboukka, du violon, de la flûte nay et de la cithare sur caisse qanun.