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Histoires d’instruments : le synthétiseur
En quelque soixante ans d’histoire, les synthétiseurs ont connu une évolution considérable. Des premières machines encombrantes qui envahissaient les studios de musique électroacoustique - le GMEB à Bourges, le GMEM à Marseille, l’IRCAM à Paris mais aussi ceux de Milan, New York, Toronto, Bruxelles, Stockholm - aux claviers compacts et facilement transportables, combinés avec des ordinateurs - Home studio - les synthétiseurs n’ont cessé d’être perfectionnés pour offrir aux musiciens et aux compositeurs une palette sonore de plus en plus variée et sophistiquée, avec un mode d’emploi simplifié. Loin d’avoir supplanté les instruments de musique traditionnels, ils sont cependant des instruments à part entière.
Histoire de l’instrument
N°6
Concert enregistré à la Cité de la musique
vendredi 21 mars 2008
Rafael Toral, synthétiseur modulaire avec ruban de contrôle, contrôleur de theremin
L’évolution constante et la spécialisation des instruments de synthèse rendent difficile une définition précise du synthétiseur. Le terme est en effet communément utilisé comme générique pour désigner des instruments spécifiques ayant recours à la synthèse des sonsFabrication artificielle d’un son au moyen de dispositifs analogiques ou numériques. : échantillonneurs, expandeurs, arrangeurs, claviers portables, pianos numériques, stations de travail musicales ...
Ces instruments ont une origine commune : le synthétiseur hardware, instrument électroacoustique équipé d’un clavier, d’un générateur sonore, d’une connectique et de commutateurs, capable de réaliser et de contrôler la synthèse des sons. Si les premiers sons des synthétiseurs étaient aisément identifiables, ceux-ci n’ont eu de cesse d’évoluer jusqu’à la production de sonorités d’un grand réalisme.
Fruits du travail sur les techniques de composition et d’interprétation, mais aussi de la manière d’écouter la musique, les synthétiseurs répondent à une volonté d’explorer de nouveaux espaces sonores et d’appréhender différemment l’étendue, le volume et le timbre du son.
Pour thereminvox, ordinateur et dispositif de diffusion 6 canaux
Concert enregistré à la Cité de la musique
le samedi 14 mars 2015
Vincent-Raphaël Carinola, Solistes de l’Ensemble intercontemporain
La naissance des sons synthétiques remonte au début du XXe siècle, lorsque les fabricants exploitent l’électricité dans la lutherie comme moyen de contrôle et de création directe. Ils restent au service d’un langage traditionnel.
Les premières tentatives d’élargir la palette des instruments commencent avec le Theremin (ou Etherphone, 1922), les ondes Martenot (1928) et le Trautonium (1930). Ces premières machines musicales témoignent d’un attrait grandissant pour l’expérimentation et la mécanisation de l’exécution musicale.
La maîtrise des techniques d’oscillations électriques d’amplification et de restitution des sons par l’intermédiaire de haut-parleursAppareil électroacoustique qui transforme un signal électrique audio en son audible. est décisive et permet l’éclosion des procédés électriques puis électroniques de génération sonore. Cette génération sonore peut être appelée « analogique », l’origine du son généré après amplification et diffusion étant une oscillation électrique analogue à l’onde sonore générée.
Les années 30 sont marquées par les instruments électromécaniques et électroacoustiques. Les premiers laissent une grande part à l’expérimentation en introduisant au sein de l’instrument des dispositifs mécaniques dont les composants sont électriques, à l’image de l’orgue Hammond, instrument à clavier et à pédalier datant de 1934, constitué d’un générateur de sons à roues phoniques. Les seconds, de facture traditionnelle (par exemple, la guitare), intègrent des technologies d’amplification électrique (le haut-parleur, le microphone).
Ces innovations technologiques successives, premières tentatives de resynthétiser des instruments de facture « traditionnelle », permettent l’avènement du synthétiseur.
Concert enregistré à la Cité de la musique
le vendredi 21 mars 2008
Etienne Jaumet, Sonic Boom, synthétiseurs analogiques
En 1952, la firme américaine RCA (Radio Corporation of America) développe le premier synthétiseur créé par Harry Olson et Herbert Belar, capable de créer artificiellement des sons.
A la même époque, Max Matthews, ingénieur à la Bell Telephone invente la synthèse digitale : les sons les plus insolites peuvent être créés à partir de signaux numériques. La mise à disposition d’un instrument générateur de son transforme dès lors la relation avec la machine. Désormais, les ressources nécessaires à la composition de musique électronique sont accessibles en dehors des studios.
Il faut attendre les années 60 et la miniaturisation du transistorLe transistor fait partie de la famille des composants électroniques. Il en est certainement le plus petit et le plus illustre. Son principe reprend celui de l’interrupteur, si ce n’est que la commande, au lieu d’être un bouton poussoir que l’on actionne manuellement, est électrique. pour vraiment parler de synthétiseur moderne.
Au cours de cette décennie la miniaturisation et la baisse du prix de revient des machines, entre autres, favorisent une diffusion plus large du synthétiseur. L’année 1964 est décisive : trois modèles incontournables sont développés simultanément, réunissant des fonctions de traitement et de synthèse du son :
- . Le Synket de l’ingénieur Paolo Ketoff fait figure de pionnier en intégrant les éléments fondamentaux qui seront repris par la suite dans la plupart des synthétiseurs. Transtorisé, il comporte plusieurs oscillateursCircuit électronique capable de générer des ondes de formes diverses. Les formes d’ondes les plus courantes sont l’onde sinusoïdales, l’onde triangulaire, l’onde carrée, l’onde en dents de scie, l’onde rampée et l’onde à impulsion., des filtres influant sur les timbres et un système de modulation de fréquence ;
- . La même année, Robert MoogNé à New York en 1934, ingénieur en électronique, il se fait connaître du grand public en publiant un article dans le magazine Electronic World sur la construction d’un Theremin (instrument électronique qui porte le nom de son inventeur). Il est le créateur des premiers synthétiseurs modulaires commercialisés. met au point le contrôle en tension (voltage control) et développe un instrument piloté par clavier, composé de modules autonomes. Dans le même temps, un autre Américain, Donald Buchla, a lui aussi l’idée d’utiliser des modules interconnectables ;
- . Le synthétiseur VCS-3 développé en 1969 par la firme anglaise EMS propose pour la première fois des modules non séparés, conçus comme un ensemble. Il marque le début des modèles à modules précâblés, déterminés au préalable par les différents fabricants.
Un peu plus de dix ans auront ainsi suffi pour passer des prototypes de laboratoire aux installations produisant des instruments à une échelle industrielle. Les synthétiseurs s’apparentent bientôt à des biens de consommation courante et le marketing est dynamique. Les artisans du synthétiseur se marginalisent rapidement au profit des grandes marques.
Pour trois percussions et processeur de signal en temps réel
Concert enregistré à la Cité de la musique
le vendredi 9 juin 2012
Philippe Manoury, compositeur, Gilles Durot, vibraphone midi Samuel Favre, vibraphone midi, Victor Hanna, marimba
L’industrie des synthétiseurs débute avec deux types d’équipements : les équipements basés sur la synthèse - offrant des possibilités de programmation des sons comme le Synclavier - et les équipements héritiers des orgues électroniques comme le synthétiseur Moog.
Un bouleversement majeur intervient en 1982 avec le lancement par YamahaCompagnie japonaise fondée en 1887. Son histoire débute avec la fabrication Torakusu Yamaha de son premier orgue. du premier synthétiseur numérique : le DX7 - compromis entre le synthétiseur et l’orgue électronique. Comparé aux autres synthétiseurs, il permet d’obtenir des sons plus riches avec moins de manipulation, tout en conservant la fonctionnalité des orgues électroniques (absence de programmation complexe). Il gagne par ailleurs en compacité et en transportabilité. Mais surtout, ses sons numérisés sont beaucoup plus stables que ceux produits par une tension de volt.
Parallèlement, la firme Sequential Circuits développe le Prophet 600, premier instrument à être doté de l’interface MIDINorme permettant la liaison d’instruments (synthétiseur, guitare, saxophone, flûte, violon, ordinateur, etc.) entre eux. Elle se présente généralement sous la forme de trois connexions : IN, OUT, et THRU. L’utilisation la plus simple est la liaison entre deux synthés par cette interface. L’intérêt de ce système est d’utiliser un réseau bien plus complexe de synthétiseurs. (Musical Interface for Digital Instruments). Les spécifications de ce nouveau standard, caractéristiques d’un souci de codification des principaux gestes musicaux et fonctions de contrôle, permettent de connecter des appareils électroniques de marques différentes et de les faire dialoguer entre eux.
En se démocratisant, le synthétiseur modifie les pratiques musicales. Facilitant le jeu, il permet en effet au musicien amateur d’obtenir satisfaction sans s’astreindre à suivre des cours de solfège ou de technique pianistique. De même, complété par un séquenceur, le synthétiseur va permettre au compositeur de tester ses compositions et ses arrangements pour plusieurs instruments, simplifiant son travail d’harmonisation ou d’orchestration.
Les synthétiseurs virtuels
Les années 80 marquent un tournant important dans l’histoire de la lutherie électronique : l’informatique en temps réel se généralise, grâce à l’interface MIDI le studio personnel se standardise et permet des échanges. C’est également l’explosion de la musique virtuelle, du home studioStudio personnel qui permet à l’utilisateur de réaliser des opérations qui ne pouvaient s’effectuer auparavant que par l’intermédiaire des studios professionnels. autour des ordinateurs personnels, et le large développement des logiciels d’édition et de traitement de sons. La composition et l’arrangement sont désormais à la portée de musiciens non pourvus de moyens importants : le studio n’est plus le lieu unique pour la composition de musique électronique.
Les années 90, outre les procédés de synthèse par modélisation physiqueTechnique de synthèse sonore qui, au lieu de s’attacher à reproduire le son lui-même (par l’analyse des fréquences qui le composent, par exemple), part du dispositif physique producteur de ce son (caractéristiques matérielles : poids, fluidité, élasticité, d’un objet) afin de reproduire son comportement dynamique dans un environnement virtuel donné., voient le retour de la synthèse analogique. Les vieux synthétiseurs analogiques sont de plus en plus recherchés, autant par les musiciens que par les collectionneurs, et de nouveaux instruments analogiques apparaissent. Le marché des cartes de sons de synthés analogiques se développe, ainsi que celui des CD ou CD-ROM permettant d’échantillonner des sonorités analogiques.
Les synthétiseurs tendent à se dématérialiser progressivement avec l’arrivée des logiciels proposant des émulations d’appareils. Ordinateurs et synthétiseurs se confondent ainsi pour offrir au musicien une palette instrumentale particulièrement développée.