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Ravel et le fantastique
Des titres évocateurs
Parcourir la liste des œuvres de Ravel, c’est s’apercevoir que le monde des hommes semble bien peu l’inspirer. Il lui préfère celui des animaux, comme dans son recueil de mélodies Histoires naturelles, et, plus encore, celui de l’imaginaire, du féerique et du merveilleux, dont il fait son royaume. Il s’intéresse ainsi très tôt à la magie des Mille et Une Nuits en composant Shéhérazade, trois mélodies pour voix et orchestre, avant de se tourner vers un projet d’Olympia, un opéra d’après L’Homme au sable de HoffmannErnst Theodor Amadeus Hoffmann, écrivain, compositeur et dessinateur allemand, 1776-1822. Quelques années plus tard, nous retrouvons – dans son tryptique pour piano Gaspard de la nuit, d’après Aloysius Bertrand – la superbe Ondine, voisine du gnome Scarbo.
Au-delà des personnages, c’est toute une vision travestie du monde que nous propose Ravel, dont témoigne parfaitement son premier recueil pour piano, Miroirs, titre ô combien révélateur : le reflet, l’indirect, le suggestif, l’irréel. Irréelle est l’orchestration de Ravel dans son ballet Daphnis et Chloé, plongeant la mythologie dans une féerie sonore parmi les plus légères, les plus subtiles, les plus immatérielles, à mille lieues de toute rusticité terrestre.
Un regard d’enfant
Mais à y regarder de plus près, ce ne sont pas tant les hommes que les adultes que Ravel semble fuir. Car les enfants ont leur place dans le royaume fantastique du compositeur, enfants qui savent si facilement, au gré de leurs inventions, s’extraire du monde environnant. Ils servent alors de passeurs entre réel et irréel. Deux œuvres en particulier en attestent. Dans Ma Mère l’Oye, que Ravel offre à deux jeunes pianistes, il se réapproprie les contes de l’enfance pour proposer des pages n’ayant, en qualité comme en propositions neuves, rien à envier à des chefs-d’œuvre plus « sérieux » – comprenez « pour les grands ». Quant à la « fantaisie lyrique » L’Enfant et les sortilèges, qui allie féerie, enfance et monde contemporain, elle semble une définition même du monde de Ravel. Ce n’est sûrement pas un hasard si le compositeur nous livre ici l’une de ses partitions les plus personnelles, les plus abouties et les plus originales dans l’utilisation de la voix et de l’orchestre. René Chaluptcitation extraite de l'ouvrage Maurice Ravel, Qui êtes-vous ? de Marcel Marnat, éditions de la Manufacture a parfaitement résumé cet aspect de l’œuvre de Ravel : À ses yeux, dont le regard avait conservé la pureté de l’enfance, tout était pareillement merveilleux et rempli de mystère. Dans l’univers créé par son art, où le surnaturel se confond avec le réel, n’ont accès que les enfants et les bêtes, les êtres mythiques ou machinés et les choses, imprégnées d’une calme tendresse, y exercent une juste primauté sur les humains que troublent à jamais des passions sommaires et dérisoires.
Auteur : Antoine Mignon