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Expositions temporaires du Musée de la musique
FELA ANIKULAPO-KUTI
Rébellion Afrobeat
Exposition du 20 octobre 2022 au 11 juin 2023 - Musée de la musique, Paris
Présentation
Vous, les Africains, écoutez-moi comme des Africains.
Les autres, gardez l’esprit ouvert.
Fela Anikulapo-Kuti, Shuffering and Shmiling, 1978
Au tournant des années 1970, le musicien nigérian Fela Anikulapo-Kuti (1938–1997) donne naissance à l’« afrobeat », un style musical cosmopolite puisant à de nombreuses sources : des rythmes yoruba au free jazz, en passant par le highlife d’Afrique de l’Ouest ou le funk africain-américain. Si ses chansons sont particulièrement galvanisantes, elles sont loin d’être insouciantes : Fela fait de sa musique une arme pour dénoncer inlassablement la corruption des élites politiques et économiques, la brutalité des régimes nigérians successifs et la mentalité néocoloniale.
L’afrobeat connaît aujourd’hui un rayonnement planétaire extraordinaire tandis que Fela a acquis le statut d’icône frondeuse et transgressive, au détriment parfois de la complexité de sa trajectoire. Cette exposition entend explorer toute la richesse de la créativité artistique et de l’engagement politique du « Black President », soulignant à quel point l’afrobeat est une musique à danser et à penser.
Parcours de l’exposition
Lagos baby : La jeunesse de Fela
Né en 1938, Olufela Olusegun Oludotun Ransome-Kuti grandit à Abeokuta, dans la région yoruba, non loin de Lagos, alors centre politique et économique de la colonie britannique du Nigeria. Il baigne dans un environnement musical cosmopolite et se met très tôt au piano. Dans les années 1950, le highlife, un style arrivé du Ghana, fait danser la haute société nigériane. Fela évolue à ses débuts dans le groupe de la star de l’époque, Victor Olaiya.
En 1958, il part étudier la trompette, le piano et la composition à Londres où il découvre le jazz de Miles Davis, Charlie Parker et John Coltrane. Après son retour à Lagos en 1963, il fonde son groupe : Fela Ransome- Kuti and His Koola Lobitos. Les premiers morceaux s’inscrivent dans la veine cuivrée, dansante et insouciante du highlife, mais l’influence des arrangements complexes du jazz transparaît déjà. C’est à la suite d’un voyage aux États-Unis en 1969, au cours duquel il découvre le Black Panther Party, que s’éveille la conscience politique de Fela et qu’il pose les jalons musicaux de ce qui deviendra l’afrobeat.
Eko-Lagos
Fortement marqué par la présence coloniale britannique jusqu’à son indépendance en 1960, le Nigeria se développe brusquement dans les années 1970 avec l’exploitation d’importants gisements de pétrole dans le delta du Niger. Le pays devient alors la proie des intérêts des multinationales et l’activité économique, auparavant surtout agricole, pousse les Nigérians à un exode rural massif. Ce boom économique se traduit par le développement rapide et contrasté de Lagos (« Eko » en langue yoruba). La rudesse de l’expérience quotidienne de la ville, en particulier pour les plus précaires, sera l’une des sources d’inspiration privilégiées de Fela.
L’histoire de Fela est intimement liée à celle de la mégapole, dans laquelle il s’ancre dès 1963. Dix ans plus tard, il ouvre son propre club qu’il baptise Afrika Shrine et fonde la Kalakuta Republic, une communauté alternative qu’il déclare affranchie des lois nigérianes. L’emplacement de ces deux bastions évolue au fil du temps, jusqu’à gagner les quartiers populaires du Nord de la ville, Mushin et Ikeja.
Les percussions yoruba : le socle de l'afrobeat
Fela raconte avoir été régulièrement invité à jouer, lors de son séjour aux États-Unis, de la « musique africaine ». Cette demande teintée d’exotisme le pousse néanmoins à mener une intense réflexion esthétique. À la recherche de ce qui peut le différencier du jazz contemporain, il se tourne vers l’héritage yoruba, un ensemble culturel du Sud-Ouest du Nigeria auquel se rattache sa famille.
Fela adopte et réinvente ainsi le schéma rythmique et les instruments des musiques yoruba, et plus largement afro-caribéennes, pour charpenter ses morceaux. Il place les hochets sekere, les cloches agogo, les claves ou le grand tambour gbedu au cœur de son orchestre. Il structure ses sections de guitares et de cuivres selon leur tessiture, n’hésitant pas à les traiter comme des percussions et à les organiser suivant les familles des instruments yoruba.
Cette réinvention des musiques dites « traditionnelles » constitue l’une des clefs de compréhension du nouveau style auquel Fela donne naissance, qu’il baptise « afrobeat ».
« Chief priest says » : L'art de la communication politique
Tout au long des années 1970, Fela achète des espaces publicitaires dans deux grands quotidiens nigérians (The Punch et The Daily Times) pour exprimer ses points de vue tranchants sur la politique nationale et internationale, mais aussi annoncer ses concerts. Écrits en pidgin, ses textes commencent invariablement par la même formule : « Chief Priest Says », soit « Le Grand Prêtre dit ».
D’un encart à l’autre, Fela interpelle le gouvernement en place sur la gestion des finances publiques ou sur la corruption des multinationales, dénonce le néocolonialisme états-unien, questionne l’absence d’infrastructures au Nigeria ou annonce son prochain concert à grand renfort de formules entraînantes.
LA RÉPUBLIQUE DE KALAKUTA : LA POLITIQUE AU QUOTIDIEN
Dès le début des années 1970, le discours et les chansons de Fela prennent une coloration politique de plus en plus forte. Symbole de son éveil idéologique, l’artiste abandonne le patronyme « Ransome », perçu comme un nom d’esclave, au profit de « Anikulapo-Kuti », « celui qui porte la mort dans sa poche » en yoruba. En concert, il s’affiche les poings levés, s’inspirant du salut du Black Power états-unien. Des chansons comme Why Black Man Dey Suffer (1970) ou Black Man’s Cry (1971) affirment la fierté d’être noir et d’en finir avec l’avilissement colonial. Avec Zombie (1976), titre condamnant la violence aveugle de l’armée, Fela devient la cible des gouvernements nigérians successifs et multiplie les séjours en prison.
En 1975, ne se contentant plus de ses prises de position dans la presse et lors de ses concerts, Fela fait de son mode de vie un manifeste. Il baptise sa maison « République de Kalakuta » – d’après le nom d’une cellule où il a été emprisonné – et la conçoit comme un lieu de vie autonome, un refuge tant pour les intellectuels noirs que pour les personnes précarisées.
La famille Ransom-Kuti : Une longue tradition d'activisme musical
Issue de la bourgeoisie chrétienne d’Abeokuta, la famille de Fela conjugue musique et politique depuis plusieurs générations. Son grand-père paternel, le révérend Josiah Jesse Ransome-Kuti, est le premier Nigérian à avoir enregistré sa musique sur disque. Les deux parents de Fela sont des figures publiques de premier plan : son père, Israel Oludotun, est directeur d’école et préside le syndicat des professeurs du Nigeria à partir de 1931 ; c’est lui qui initie Fela à la musique. Funmilayo, sa mère, est une activiste d’envergure internationale qui se bat toute sa vie pour le suffrage universel et les droits des femmes. Quant à ses frères, Bekolari et Olikoye, ils embrassent tous deux une carrière de médecin et s’investissent en politique, Olikoye devenant même ministre de la Santé du Nigeria dans la seconde moitié des années 1980.
Funmilayo Anikulapo-Kuti, « La voix des femmes »
Tout au long de sa vie, Fela souligne l’influence déterminante de sa mère dans ses combats. Funmilayo – qui, comme son fils, abandonne le patronyme de « Ransome-Kuti » au profit de « Anikulapo-Kuti » en 1975 – est aujourd’hui considérée comme une des militantes africaines les plus influentes du XXe siècle.
Dès le début des années 1940, elle se bat pour réformer la politique coloniale dans un Nigeria encore sous domination britannique. Quant à son engagement en faveur du droit des femmes, il commence localement, lorsqu’elle initie à la fin des années 1940 le mouvement de révolte des femmes du marché d’Abeokuta contre le roi et les administrateurs coloniaux britanniques. À partir des années 1950, elle crée un réseau d’organisations féminines à travers le Nigeria avant de s’illustrer au niveau international au sein de la Fédération démocratique internationale des femmes.
« Free Fela »
La légende veut que les incarcérations de Fela aient été si nombreuses qu’il est impossible d’en faire le compte. Le 4 septembre 1984, alors qu’il s’apprête à prendre l’avion à l’occasion d’une tournée internationale, il est accusé par la justice nigériane de trafic de devises après la découverte de 1 600 livres non déclarées dans ses bagages. Il est condamné à une peine de cinq ans de prison.
L’injustice de son sort suscite une forte mobilisation de la communauté internationale, notamment en France, où un collectif de musiciens baptisé « Caravane Jéricho » organise une tournée de concerts pour pousser les autorités nigérianes à le relâcher. Le 23 avril 1986, soit 532 jours après sa condamnation, Fela est enfin libéré après que le juge ayant prononcé la condamnation a reconnu avoir subi des pressions de la part du gouvernement.
« Ci-git la justice » : L'attaque de kalakuta
Des grands moments qui ont façonné la légende de Fela, l’attaque de la République de Kalakuta constitue l’un des plus dramatiques. Le 18 février 1977, une semaine après la fin du Festac, plusieurs centaines de soldats déferlent sur la résidence du chanteur.Fela et ses proches sont sévèrement battus et plusieurs des femmes subissent viols et tortures.
Quant à sa mère, Funmilayo, elle est défenestrée du premier étage et se brise la hanche en tombant. Avant de partir, les militaires mettent à feu Kalakuta, laissant derrière eux un champ « de désespoir, de larmes et de sang », comme le chantera Fela quelques mois plus tard (Sorrow Tears and Blood ). Le succès rencontré par la chanson Zombie (1976), qui compare les soldats à des morts-vivants, et la fronde de Fela lors du Festac ont sans doute été les déclencheurs de ce déferlement de violence pure.
Dans l'intimité de Kalakuta
À la fois siège des projets politiques de Fela, refuge pour les personnes marginalisées et petite république régie selon ses propres normes, Kalakuta est un lieu complexe et ambivalent sur lequel Fela règne en maître. Modeste par sa taille, la maison accueille néanmoins un grand nombre de personnes et d’activités, dont une clinique, un point de vente de cannabis et un projet d’imprimerie.
Loin de l’effervescence du Shrine, Fela y dort, couche, lit, fume, blague, imagine des futurs potentiels pour l’Afrique et polit ses arguments politiques, arpentant les pièces et la cour dans sa tenue favorite, le slip. Ce vêtement n’a rien d’anodin : Fela met ainsi en valeur sa silhouette ascétique, à l’opposé des canons nigérians de la réussite, et ses nombreuses cicatrices, comme autant d’insignes de sa résistance face aux violences policières.
« Nous sommes Fela »
Au quotidien comme sur scène, Fela s’appuie constamment sur les femmes qui l’entourent : sa mère, Funmilayo, qui lui a inculqué les principes contestataires qui guident ses combats politiques, Sandra Izsadore qui l’aide à ouvrir les yeux sur les ravages de l’impérialisme, mais aussi toutes celles que Fela appelle ses « Queens » : dès le milieu des années 1970, de nombreuses jeunes femmes, parfois mineures, abandonnent leurs familles pour rejoindre la République de Kalakuta. Certaines deviennent danseuses ou chanteuses, d’autres prennent en charge le quotidien de la communauté.
Leur contribution compte pour beaucoup dans le succès de l’afrobeat ; elles sont de tous les combats, soutenant Fela jusqu’en prison. Le 20 février 1978, Fela se marie avec vingt-sept d’entre elles, dans une volonté de renouer avec une polygamie qu’il considère comme faisant partie intégrante de la culture traditionnelle africaine. C’est aussi un coup médiatique qui fait parler de lui au Nigeria et dans le monde entier, suscitant un flot de réactions où la réprobation morale le dispute au fantasme sexuel.
AFRIKA SHRINE : LA FABRIQUE DE L'AFROBEAT
À partir de 1973, Fela dispose de son propre club, qu’il baptise « Afrika Shrine » – ou « sanctuaire africain » en français. Il s’y produit plusieurs fois par semaine avec son nouveau groupe, Africa 70, lors de concerts pouvant durer une bonne partie de la nuit. Les morceaux, longs parfois d’une trentaine de minutes, alternent avec des séances de yabbis – des diatribes politiques dans lesquelles Fela moque le pouvoir en place et fustige les travers néocoloniaux de la société.
Le Shrine attire tout autant la jeunesse pauvre de Lagos que le public étranger, venu assister à des concerts à la frontière entre le meeting politique et la communion spirituelle. Sur l’autel du Shrine, les portraits de grandes figures panafricanistes– tels Kwame Nkrumah, Malcolm X et Funmilayo Ransome-Kuti, la mère de Fela – côtoient les figures de divinités yoruba, formant un panthéon personnel auquel Fela rend systématiquement hommage en s’inspirant des rituels yoruba.
Face au festac
Prenant la suite du premier Festival mondial des arts nègres, organisé au Sénégal en 1966, les autorités nigérianes accueillent en 1977 le Festac, ou Second World Black and African Festival of Arts and Culture. Financé à grand renfort de pétrodollars, l’événement attire à Lagos et Kaduna une soixantaine de délégations venues du monde entier pour célébrer la vitalité artistique de l’Afrique et de ses diasporas.
Invité à rejoindre le comité d’organisation, Fela choisit finalement de dénoncer publiquement l’événement, écœuré par le rejet de ses recommandations pour un festival panafricain véritablement tourné vers le peuple et les artistes. Dénonçant la gabegie financière et la corruption des organisateurs, Fela décide de monter un « contre-Festac » dans son club, l’Afrika Shrine, où se pressent Stevie Wonder, Archie Shepp, les musiciens du Sun Ra Arkestrou ceux de l’Art Ensemble of Chicago.
Le movement of the people (MOP)
Fela investit concrètement la scène politique nationale en 1978 lorsqu’il fonde son propre parti, le Movement of the People, dans la perspective de sa candidature à l’élection présidentielle l’année suivante. L’acronyme « MOP », qui signifie « serpillière » en anglais, décrit bien l’ambition du Black President : débarrasser le pays des politiciens corrompus et de toute forme d’oppression.
L’idéologie du MOP est largement irriguée par la pensée panafricaniste de l’ancien président du Ghana Kwame Nkrumah. Fela ne vise rien de moins que « la reconstruction économique, culturelle, sociale, politique, technologique et idéologique du Nigeria en particulier, et de l’Afrique en général ». Il dote le MOP de tous les attributs d’un parti politique : un logo fort, de grands meetings concerts et surtout un manifeste ambitieux qui expose la vision du parti – de la politique agricole au rôle des musées, en passant par le développement de la médecine traditionnelle ou l’éducation.
Les young African pioneers
En 1976, Fela lance un mouvement de jeunesse, baptisé « Young African Pioneers » (YAP), inspiré par les Ghana Young Pioneers que le président du Ghana Kwame Nkrumah avait créés dans les années 1960, au moment de l’indépendance, pour mobiliser la jeunesse au service de la nouvelle nation et promouvoir son projet panafricaniste et socialiste.
Décrit comme « un mouvement non politique visant à sensibiliser les jeunes d’Afrique aux questions culturelles et économiques », YAP constitue cependant une plateforme stratégique pour Fela : elle lui permet de nourrir ses ambitions idéologiques et de fédérer les nombreux jeunes fascinés tout autant par sa musique que par ses affrontements avec les autorités. Le mouvement lui sert aussi à contourner l’interdiction de toute activité politique décrétée par les gouvernements nigérians depuis 1966.
La bibliothèque de Fela
Les connaissances historiques de Fela et sa conscience politique se charpentent au fil des rencontres et des lectures. À la suite de son séjour aux États-Unis, où il découvre l’autobiographie de Malcolm X grâce à Sandra Izsadore, Fela multiplie les lectures d’ouvrages dits « afrocentristes », dont les auteurs entendent inverser le récit occidental dominant en revendiquant l’origine africaine de l’Égypte antique et l’ancienneté millénaire des civilisations africaines. Ces textes ont nourri nombre des interventions de Fela, de ses chansons à ses conférences universitaires.
Le vestiaire de Fela
En ville comme sur scène, Fela attache une attention toute particulière à son apparence. Il commande à son tailleur, Henry Atem, des costumes dans des tissus aux couleurs et aux matières chatoyantes et se dessine une silhouette singulière mêlant pantalons évasés, cols pelle à tarte et broderies flamboyantes. Il choisit lui-même les motifs brodés, en puisant aussi bien dans les hiéroglyphes du Livre des morts égyptien que dans le vocabulaire des arts textiles haoussa et yoruba.
Qu’il s’agisse de sa tenue ou de celle de ses danseuses et musiciens, les costumes contribuent pleinement à la performance visuelle de l’afrobeat. Avec ses lumières multicolores, ses slogans rétroéclairés et la tôle ondulée qui recouvre ses murs et son plafond, le Shrine offre une expérience esthétique et acoustique très éloignée de l’ambiance sombre et policée des salles de concert européennes où Fela se produit lors de ses tournées.
Les vinyles : l'identité visuelle de l'Afrobeat
Une fois qu’il les a enregistrées, Fela n’interprète plus jamais ses chansons en concert. Les disques sont donc une forme d’aboutissement et d’archive de sa créativité. Conscient du formidable outil de communication que représentent ses albums, Fela fait appel à des graphistes talentueux pour en concevoir l’habillage et conférer à sa musique une identité visuelle marquante. L’esthétique que développent ces artistes contribue pleinement au discours critique de l’afrobeat : le dessin des pochettes est souvent très fouillé et narratif, mélangeant avec inventivité jeux typographiques, caricatures et montages photographiques.
Tandis que certains graphistes ne réalisent que quelques pochettes, Lemi Ghariokwu signe plus de la moitié des albums de Fela – dont Ikoyi Blindness, Zombie et No Agreement –, imposant son style coloré, dense et caustique dans l’imaginaire visuel des fans d’afrobeat.
« WHO NO KNOW GO KNOW »– QUI NE SAIT PAS SAURA
À partir du milieu des années 1970, l’écho de la musique de Fela et de son engagement politique dépasse les frontières du Nigeria et attire l’attention de managers et producteurs européens. À l’exception de quelques séjours au Ghana et au Cameroun, le Black President n’a joué que dans son pays natal, estimant que sa musique est avant tout destinée aux Africains. Les besoins financiers croissants pour faire fonctionner son organisation le poussent à multiplier les tournées en Europe dans les années 1980 et à signer des accords avec plusieurs maisons de disques françaises, britanniques ou américaines.
Avec un groupe profondément remanié et étoffé qu’il baptise « Egypt 80 », Fela explore une veine musicale plus symphonique à travers des compositions qui gagnent en densité, délaissant la polyrythmie. Il n’abandonne pas pour autant ses puissantes charges politiques ; ainsi dans Beasts of No Nation (1989), où il s’attaque aux violations des droits humains commises ou soutenues par les gouvernements de Margaret Thatcher au Royaume-Uni, de Ronald Reagan aux États-Unis ou de Pieter Botha en Afrique du Sud.
La fièvre Fela
Avec l’internationalisation croissante de sa carrière, la presse occidentale porte à Fela un intérêt grandissant. C’est en France que l’écho médiatique est le plus fort, amplifié notamment par des publications alternatives comme le magazine gonzo de Jean-François Bizot Actuel, le mensuel musical de Manu Dibango Afro Music ou encore par la jeune Radio Nova. À une époque marquée par l’essor de la world music et des mobilisations antiracistes, la figure de résistant hédoniste offerte par Fela ne laisse pas indifférent.
De Berlin à Rome, les journaux se font aussi l’écho des tournées rocambolesques du Black President et de ses concerts hypnotiques, entrecoupés de sermons politiques et de numéros macabres du « Professor Hindu », un prestidigitateur ghanéen devenu son « conseiller spirituel » à partir de 1981.
1978 : A la conqûete de l'Europe
Le 4 novembre 1978, Fela, accompagné de quelque soixante-dix musiciens, danseuses et membres de son organisation, est invité à se produire sur la prestigieuse scène du Festival de jazz de Berlin. Cet événement, premier concert d’envergure qu’il donne hors du Nigeria, amorce la réception extraordinaire de l’afrobeat en Europe. Fela livre quatre chansons – V.I.P. (Vagabonds in Power), Power Show, Pansa Pansa, Cross Examination of the Colonial African Soldier – jouées à plein par un orchestre enfiévré. Cette affiche est aussi la dernière représentation de Fela avec son groupe Africa 70 : à l’issue de la performance, la rumeur se propage au sein des musiciens que Fela souhaite utiliser les bénéfices du concert pour financer sa campagne présidentielle, ce qui mène au départ de plusieurs d’entre eux, dont le batteur Tony Allen.
ABAMI EDA : L’AFROBEAT APRÈS FELA
Le 2 août 1997, Fela Anikulapo-Kuti s’éteint à l’âge de 58 ans. Bien qu’il n’ait cessé de nier l’existence de la maladie, c’est bien le sida qui a raison de lui. Les adieux à celui qu’on surnommait « Abami Eda » (« celui qui est mystérieux ») sont à la hauteur de ce qu’il a incarné pour les Nigérians : plusieurs dizaines de milliers de personnes se réunissent au Tafawa Balewa Square de Lagos pour rendre un dernier hommage à Fela, revêtu pour l’occasion de l’un de ses costumes chatoyants, un dernier joint de cannabis entre les doigts pour le voyage.
« F-E-L-A, For Ever Lives Africa », clame Seun Kuti lors des funérailles. Vingt-cinq ans plus tard, la ferveur demeure intacte, au Nigeria comme ailleurs dans le monde. Son image, ses mots et sa musique hantent encore Lagos, en particulier aux abords du New Afrika Shrine, ce club créé en 2000 par sa famille. Le lieu constitue l’un des principaux points de ralliement pour la nouvelle scène qui, au Nigeria, au Brésil, au Japon, au Royaume-Uni ou en France, continue de réinventer l’afrobeat.
Crédits de l’exposition
- Commissaires : Alexandre Girard-Muscagoryy, Mabinuori Kayode Idowu, Mathilde Thibault-Starzyk
- Conseiller musical : Sodi Marciszewer
- Cheffe de projet : Julie Bénet
- Scénographie : Georgiana Savuta-Idier
- Chargée de production : Emmanuelle Dorbaire
- Graphiste : Maison Solide
- Conception et réalisation audiovisuelle : Matthias Abhervé, Inès Saint-Cerin, Rafaël Gubitsch, Noémie Wateriot
- Eclairage : Patrick Mouré
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