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Expositions temporaires du Musée de la musique
Révolutions Xenakis
Exposition du 10 février au 26 juin 2022 - Musée de la musique, Paris
Présentation
À l’occasion du centenaire de la naissance du compositeur Iannis Xenakis, Révolutions Xenakis célèbre les nombreuses facettes de l’un des artistes les plus féconds de la seconde moitié du XXe siècle. Amoureux de l’Antiquité grecque, « né vingt-cinq siècles trop tard », comme il l’affirmait, Xenakis fut pourtant un créateur à la pointe de la modernité la plus radicale. Tout à la fois compositeur, architecte, ingénieur, féru de mathématiques et d’informatique, il a fait œuvre de pionnier dans de nombreux domaines comme la musique électroacoustique ou l’informatique musicale. Ses spectacles de lumière et de son ont conquis un large public et la vitalité de son catalogue, riche de près de 150 opus, ne s’est jamais démentie.
Remettant en cause les fondamentaux des principaux mouvements de la musique de l’après-guerre, Xenakis a inventé une grande partie des techniques compositionnelles qui caractérisent la seconde moitié du XXe siècle. Auteur d’une écriture s’appuyant sur les mathématiques et sur une représentation graphique de la notation musicale, le compositeur a révolutionné la notion de son musical, son concept de masses sonores étant à la source de timbres inouïs. Il a introduit également le traitement des grands nombres et la notion de probabilité, qui sous-tendent sa théorie de musique stochastique. De même, il a eu recours aux mathématiques des jeux, imaginant le principe de pièce musicale aléatoire, dont le contenu n’est fixé que pendant son exécution, sous l’effet d’un « duel » entre deux ensembles orchestraux. Enfin, l’approche inédite du compositeur de l’espace et du temps dans la conception de ses spectacles font de lui l’un des pères fondateurs de l’art numérique.
Une installation d’art numérique réalisée par le studio ExperiensS, agit à intervalles de temps réguliers, comme une forme de court-circuit du processus scénographique envahissant le plafond et les murs de l’espace central de l’exposition – une transposition des polytopes de Xenakis en 2022.
Parcours de l’exposition
Panthéon intime
Iannis Xenakis naît en mai 1921 ou 1922 à Brãila, en Roumanie. Son père, Clearchos, dirige une agence d’import-export britannique. Sa mère, Photini, mélomane, encourage très tôt son fils à s’intéresser à la musique. Cette existence paisible est brutalement interrompue en 1927 lorsque Photini, enceinte, contracte la rougeole et meurt en couches.
Iannis et ses frères sont alors confiés à des gouvernantes, jusqu’à ce que leur père les envoie en pension dans un établissement situé sur l’île de Spetses, dont l’organisation a pour modèle les grandes institutions britanniques. Enseignement de haut niveau et pratique intensive du sport caractérisent cet établissement dont Xenakis sortira en 1938 avec un goût certain pour les sciences, les mathématiques, la philosophie ainsi que la musique.
La Deuxième Guerre mondiale éclate lorsque Iannis Xenakis est étudiant à Athènes. Engagé dans la Résistance, il est grièvement blessé par l’explosion d’un obus anglais en janvier 1945. Contraint à l’exil, Xenakis gardera toute sa vie un souvenir très vif des événements qui ont émaillé sa jeunesse et qui seront autant d’éléments fondateurs de son œuvre.
L’atelier du compositeur
Est-ce parce que Xenakis a tout perdu lors de son arrivée en France en 1947, qu’il éprouve un besoin constant de recréer un nouvel univers familier, qui nourrira son œuvre et qui l’accompagnera autant chez lui que dans son atelier de la rue Victor Massé ?
À côté de son tableau noir couvert d’équations mathématiques et d’images de planètes, sa bibliothèque témoigne de sa passion pour les cultures grecques ou extra-européennes, la musique, la philosophie, la nature, l’architecture ou les mathématiques. Des photographies d’êtres chers communiquent avec des reproductions de figurines ou de poteries grecques, précolombiennes, africaines ou encore asiatiques. Une carte postale de L’Île des morts d’Arnold Böcklin répond au portrait de sa mère disparue prématurément. Des coquillages, une carapace de tortue ou une reproduction de La Grande Vague de Kanagawa d’Hokusai montrent son attachement pour la nature.
Enfin, deux pièces de bois sur lesquelles il a minutieusement rapporté le placement des doigts sur les touches de violons et de violoncelles côtoient son épée d’académicien, dessinée par lui-même.
Pavillon Philips
L’une des réalisations les plus marquantes de Xenakis, pendant les douze années passées dans l’atelier de Le Corbusier, est assurément le pavillon érigé pour l’Exposition universelle de 1958 à Bruxelles. Sollicité par la société Philips, qui souhaite mettre en avant son savoir-faire dans le domaine de la lumière et du son, Le Corbusier propose un Poème électronique, programme faisant appel à l’architecture, à la musique et au cinéma. Se chargeant du spectacle d’images et de lumières, Le Corbusier confie à Xenakis le projet architectural du bâtiment, tandis qu’Edgard Varèse est sollicité pour réaliser la bande sonore. Xenakis participe également au projet en tant que compositeur et sa pièce spatialisée Concret PH (1958) assure le rôle d’interlude entre deux séances du Poème électronique.
Véritable attraction de l’exposition, le pavillon Philips, doté par Xenakis de « chemins de sons » de 325 haut-parleurs, accueille pendant quatre mois 1,5 millions de visiteurs, alors que le Poème électronique est donné à 3 013 reprises.
Metastasis
À l’instar du pavillon Philips en architecture, Metastasis marque le début de la reconnaissance de Xenakis comme compositeur. Novatrice dans sa structuration comme dans son écriture, cette pièce pour orchestre, créée le 16 octobre 1955 au Festival de Donaueschingen, met en œuvre de grandes masses sonores évolutives — 46 musiciens à cordes interprétant chacun un parcours mélodique différent. Le début comme la fin de la pièce sont constitués de glissandi de cordes, procédé révolutionnaire à l’époque, que Xenakis conçoit d’abord sur du papier millimétré, avant de le retranscrire sur des portées musicales. Xenakis évoque comme source d’inspiration pour cette pièce les sons et le rythme obsédant des manifestations de la Résistance grecque.
Alliages
Ingénieur, architecte, compositeur, mathématicien, informaticien, Xenakis ne fut pas l’un puis l’autre, ni l’un sans l’autre. Prônant les alliages entre arts et sciences, comme il les qualifiait lui-même, son œuvre musicale et architecturale est le reflet de ces différentes disciplines, fortes de dynamiques complémentaires. L’apport des mathématiques est essentiel et sous-tend la grande majorité des projets développés par Xenakis. Sans qu’il existe une traduction d’un principe architectural en concept compositionnel, le rythme de la façade de pans de verre ondulatoires du couvent de la Tourette peut être mis en regard des matrices musicales d’Achorripsis (1956-1957) ou de Pithoprakta (1955-1956), tout comme les parois en paraboloïdes hyperboliques du pavillon Philips répondent aux courbes des glissandi de Metastasis (1953).
Les mêmes principes régissent le projet de Ville cosmique sur lequel travaille Xenakis en 1963, utopique cité du futur qui devait culminer à 5 000 mètres d’altitude et dont la modernité résonne avec les préoccupations écologiques d’aujourd’hui.
Polytopes
Réalisations de la maturité, spectacles de son et de lumière, les polytopes constituent une synthèse de la pensée xenakienne. À partir du Polytope de Montréal, créé pour le pavillon français de l’Exposition universelle de 1967, ces oeuvres visuelles et sonores, conçues pour exploiter la pluralité d’un lieu (polytopie), donneront lieu à des projets de plus en plus vastes.
Le Polytope de Cluny (1972-1974), installé à Paris dans les thermes de Cluny, attire 100 000 spectateurs tandis que le Diatope de Beaubourg (1978), structure architecturale autonome conçue pour l’inauguration du Centre Pompidou, abrite la Légende d’Eer (1977), oeuvre électroacoustique de Xenakis la plus majestueuse. Plusieurs réalisations ne verront pas le jour, comme le Polytope du Mexique, très abouti dans sa préfiguration et qui devait s’appuyer sur le réseau des pyramides de Teotihuacan, ou le fantasmé Polytope mondial, grandiose « réseau intercontinental d’actions de lumière et de son », destiné à « lancer des ponts artistiques par-dessus les océans ».
Espace - temps
Dès ses premières œuvres, Xenakis fait preuve d’une maîtrise inédite de l’espace et du temps. Ainsi, la catégorisation « en-temps »/« hors-temps » renvoie à l’appréhension par Xenakis du temps musical sous la forme de succession d’événements sonores ou de segments temporels autonomes. De même, il est l’un des premiers compositeurs à s’intéresser à la diffusion spatialisée du son. Cette préoccupation, déjà très présente avec les « chemins de sons » du pavillon Philips, se trouve au cœur de la conception des polytopes.
Plusieurs œuvres questionnent de façon radicale la spatialisation du son. Ainsi, dans Eonta (1963), le compositeur demande aux cinq instrumentistes à vent de se déplacer tout en jouant. Il a parfois recours à des dispositifs plus saisissants, soit en plaçant l’auditeur au sein de l’effectif orchestral, comme par exemple dans Terretektorh, créée en 1966 au Festival international d’art contemporain de Royan, soit en faisant appel à un dispositif complexe de haut-parleurs, tel que Hibiki Hana Ma, composée en 1970 pour l’Exposition universelle d’Osaka.
Nomos gamma
Lors de la création de Nomos gamma le 4 avril 1969 au Festival international d’art contemporain de Royan, Xenakis place les 98 musiciens de l’orchestre en étoile, au sein de l’auditoire assis par terre. Jacques Lonchampt, dans sa critique du Monde, rapporte l’expérience saisissante, quasi interactive, vécue par le public « placé au cœur du phénomène sonore, immense "tapisserie sonore" hors du temps, intégrant une collection d’ensembles, de structures très élaborées dans toutes leurs dimensions selon un "déterminisme" rigoureux. Spectacle abstrait, captivant, comme les grands phénomènes ou les grands décors naturels : orages, chutes du Niagara, chaînes de montagnes, forêts vierges, etc., où l’homme est débordé de tous côtés, bien qu’y participant en quelque manière ».
Machine et dessin
Pratique d’ingénieur autant que d’architecte, le recours au graphique est une caractéristique essentielle du processus créatif de Xenakis. L’intérêt pour cette méthode pourrait même être antérieur à sa formation, lorsque l’on sait que, jeune apprenti musicien, il tentait déjà de transcrire de façon graphique la musique de Bach. De même, l’étude de ses nombreux carnets de notes révèle quantités d’idées nouvelles et de projets esquissés, dont la formalisation passe par le croquis ou le dessin.
Les célèbres courbes graphiques de Metastasis (1953) ou de Pithoprakta (1955-1956), les arborescences d’Erikhthon (1974) ou de Khoaï (1976), qui semblent faire écho aux branchages que photographiait le compositeur, sont devenues autant de signatures visuelles de la musique de Xenakis. Pourtant, si du dessin jaillit la musique, comme sur la machine UPIC conçue en 1976, parfois, la fonction qui sous-tend la partition graphique ou le dessin d’architecture s’efface et laisse place à l’œuvre d’art visuel, au dessin pur.
Crédits de l’exposition
- Commissaires : Mâkhi Xenakis et Thierry Maniguet
- Cheffe de projet : Marion Challier
- Conseil scientifique : Anne-Sylvie Barthel-Calvet, Pierre Carré, Benoît Gibson, Elisavet Kiourtsoglou, Makis Solomos
- Scénographie : Wilmotte & Associés Architectes Jean-Michel Wilmotte, Emmanuel Brelot
- Design lumineux : ExperiensS
- Graphisme : Bernard Lagacé et Lysandre Lecleac’h
- Eclairage : Patrick Mouré