Lou Reed
Dans l’ennui de la lointaine banlieue new-yorkaise qu’est Long Island, le jeune Lou Reed a tout d’une énigme. Lycéen fou de rock’n’roll et étudiant en littérature féru de transgressions, provocateur né et frère attentionné, outsider et asocial perturbé : dépassés, ses parents consultent un psychiatre qui prescrit un traitement par électrochocs alors qu’il a 17 ans. Pour y survivre, Lou Reed n’a que ses passions, l’écrit et la musique, du folk au jazz et du rockabilly au doo-wop. En 1958, son groupe de lycée, les Jades, a déjà publié un 45t de ses premières chansons. En 1964, après de nombreux groupes éphémères à l’université de Syracuse, un label de seconde zone nommé Pickwick décèle en lui l’étoffe d’un songwriter. Pour promouvoir sur scène l’une de ses compositions pastiche, The Ostrich, Pickwick recrute deux musiciens, Tony Conrad et John Cale. La rencontre de Lou Reed avec ce dernier va changer le cours de leur vie et le visage du rock.
John cale
Quand, en décembre 1964, il scelle avec Lou Reed une alliance destinée à durer quatre ans, ce gallois fils de mineur a déjà traversé l’océan Atlantique et plusieurs univers musicaux : prodige repéré à 11 ans par la BBC, membre de l’Orchestre national des jeunes du Pays de Galles, étudiant au Goldsmiths College de Londres ou boursier à la prestigieuse Tanglewood Summer School, dans le Massachussets. Pianiste et joueur d’alto, il se détourne d’une carrière de chef d’orchestre en croisant les compositeurs d’avant-garde et les théories du mouvement Fluxus. Dès son arrivée à New York en 1963, il découvre avec La Monte Young les vertus de la répétition et du hasard, les sonorités bourdonnantes, la vie de bohême et le deal de drogue. Doté d’un bagage musical hors du commun, d’un sens aigu de la transgression et d’une fascination pour les étrangetés de Lou Reed, John Cale constitue avec lui le noyau fondateur du Velvet et sera le seul à oser lui faire de l’ombre.
Sterling Morrison
En avril 1965 dans le métro, Sterling Morrison rencontre Lou Reed, dont il a fait la connaissance trois ans plus tôt, à l’université de Syracuse, tous deux étudiants en lettres et fous de musique.
Guitariste, bassiste et chanteur, il rejoint immédiatement le groupe que Reed a fondé avec John Cale et Angus MacLise. S’il n’a pas encore de nom, le Velvet Underground a déjà des chansons, auxquelles Sterling apporte une impeccable assise rythmique. Admirateur de Mickey Baker et Steve Cropper, il développe un jeu aussi mordant qu’aérien, esquisse des mélodies, et s’empare de la basse quand John opte pour les claviers ou le violon. C’est à la présence de ce spécialiste de littérature médiévale que le Velvet Underground doit certaines de ses plus lumineuses envolées.
Moe Tucker
En novembre 1965, le percussionniste Angus MacLise fait faux bond au Velvet Underground à la veille de leur premier vrai concert. Sterling Morrison se souvient alors que la sœur de son ami d’enfance Jim Tucker joue de la batterie et possède une voiture : bien pratique. Au groupe, Maureen « Moe » Tucker, née à New York en 1944, apporte le beat tribal de Bo Diddley, une frimousse de petit garçon et une candeur flegmatique capable de survivre aux turpitudes de la Factory comme aux sautes d’humeur de Lou, John et Sterling. Elément stabilisateur sur le plan humain et moteur sur le plan musical, Moe est également une délicieuse chanteuse, dont le timbre enfantin va aérer ballade agoraphobe (After Hours) et comptine morbide (I’m Sticking With You). Aux yeux de certains puristes, l’absence de Moe empêchera Loaded d’être un véritable album du Velvet Underground.
Nico
Lorsque Nico devient la chanteuse du Velvet Underground en janvier 1966, sa vie est déjà un roman. Née Christa Päffgen en 1938 à Cologne, elle entame à l’adolescence une carrière de mannequin. Suit une vie d’itinérance, de Berlin à Rome puis Paris, de Londres à New York, des podiums aux couvertures des plus prestigieux magazines, du cinéma aux studios d’enregistrement.
Sa blondeur illumine La Dolce Vita de Fellini (1960), Alain Delon lui donne un fils, Bob Dylan une chanson, Brian Jones l’occasion d’enregistrer son premier titre, I’m Not Sayin’ (1965). À peine arrivée à la Factory, son chant suave et son allure distante séduisent Andy Warhol et son acolyte Paul Morrissey, qui trouve que Lou Reed manque de glamour. Le Velvet Underground hérite alors pour quelques mois d’une figure de proue à casque d’or.
Andy Warhol
Fin 1965, Andy Warhol est loin d’être le personnage et l’artiste qu’il va devenir les deux décennies suivantes. À vingt-sept ans, il fait déjà sensation avec ses sérigraphies de fleurs ou de personnalités, ses boîtes Brillo, ses séries sur les morts et les catastrophes, son système de duplication et de répétition. Warhol cherche à brouiller la distinction entre l’artiste et l’œuvre d’art, et déclare vouloir abandonner les arts plastiques pour s’attaquer à de nouveaux domaines, au premier rang desquels le cinéma et la musique : la Factory est le lieu idéal, où films et répétitions s’enchaînent, entre fêtes et expositions improvisées qui voient défiler tout ce que New York recèle d’artistes ou de célébrités. Sous cette apparence de foire perpétuelle s’élève une fourmilière de talents dont Warhol compte faire des composantes de son œuvre d’« art total ».