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Œuvre
The Fairy Queen
Henry Purcell
Carte d’identité de l’œuvre : The Fairy Queen (La Reine des fées) Z. 629 de Henry Purcell |
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Genre | semi-opera |
Librettiste | probablement Thomas Betterton. D’après Le Songe d’une nuit d’été de W. Shakespeare |
Langue du livret | anglais |
Composition | 1692 |
Création | le 2 mai 1692 au Queen’s Theatre (Dorset Garden Theatre) à Londres |
Forme | cinq actes dont cinq masques |
Instrumentation de Purcell | 2 flûtes à bec, 2 hautbois, 2 trompettes, percussions, violons, altos, violoncelles, contrebasses basse continue : clavecin, viole de gambe, violoncelle, théorbe, guitare baroque, basson, orgue, selon le chef d’orchestre |
Les personnages et leur voix
Comédiens : The Duke (Theseus) (Le Duc (Thésée)), Egeus (Égée, père de Hermia), Helena (Hélène, amoureuse de Demetrius), Demetrius (amant de Hermia), Hermia (amoureuse de Lysandre), Lysander (Lysandre, autre amant de Hermia), Nick Bottom, Peter Quince, Tom Snout, Francis Flute, Robin Starveling, Snug, Oberon (Obéron, roi des fées), Titania (reine des fées), Indian Boy (un garçon indien), Robin Goodfellow (Puck le lutin), Fairies (des fées)
Chanteurs :
- Drunken poet (Un poète ivre), baryton
- First Fairy (1re fée), soprano
- Second Fairy (2e fée), soprano
- Night (La Nuit), soprano
- Mystery (Le Mystère), soprano
- Secrecy (Le Secret), contre-ténor
- Sleep (Le Sommeil), basse
- Coridon (Corydon), basse
- Mopsa (Mopsa), soprano / contre-ténor
- Nymph (Une nymphe), soprano
- Spring (Le Printemps), soprano
- Summer (L’Été), contre-ténor
- Autumn (L’Automne), ténor
- Winter (L’Hiver), baryton
- Juno (Junon), soprano
- Chinese Man (Un Chinois), contre-ténor
- Chinese woman (Une chinoise), soprano
- Hymen (L’Hymen), baryton
- Fées et intendants
Argument
Le Songe d’une nuit d’été (1594-1595) de Shakespeare donne le cadre de l’action et sert de prétexte à l’insert de scènes féériques et extravagantes (appelées « masquesdivertissements musicaux enchâssés entre des scènes dialoguées et composés d’airs, de chansons ou de ballets mis en scène de manière spectaculaire grâce à des machineries d’effets » ) composées par Purcell : les personnages principaux de la pièce n’apparaissent donc pas dans la partition musicale.
Au premier acte, Titania, reine des fées, fuit son mari Obéron et part avec un jeune garçon indien orphelin pour se réfugier dans la forêt. Elle ordonne à ses suivantes de la protéger de son mari et de tout humain qui tenterait d’entrer dans le bois. Un poète ivre se retrouve malgré lui pris au piège des fées. Elles se moquent de lui tout en le pinçant. Ce premier masque est marqué par l’alternance d’airs de solistes et de scènes chorales qui se répondent musicalement.
À l’acte deux, Titania s’allonge afin de s’endormir. Le décor change et plusieurs personnages se succèdent. Les fées lui préparent un lit tout en chantant et en dansant puis la Nuit, le Mystère, le Secret et enfin le Sommeil remplissent tour à tour leur royale mission.
Au début de l’acte trois, Titania se réveille et – sous l’action d’un élixir d’amour – tombe amoureuse de Bottom transformé en âne. Cet amour incongru donne lieu à une série de danses et d’airs évoquant les amours, dont certains sont comiques comme le duo entre les paysans Coridon et Mopsa.
Au début du quatrième acte, les enchantements précédents se dissipent et l’air « Now the night is chas’d away » annonce l’anniversaire d’Obéron. La fête se poursuit avec Phœbus annonçant la fin de l’hiver. Printemps, Été, Automne, Hiver, accompagnés du chœur, forment le masque des saisons.
L’apparition de Junon à l’acte cinq pour bénir les mariés est suivie de réjouissances dans un décor exubérant évoquant une Chine fantasmée. Rêve et réalité se mêlent en un joyeux pot-pourri d’airs et de danses variées pour célébrer l’amour.
Contexte de composition et de création
Avant le début des années 1690, Purcell ne s’était pas particulièrement illustré dans le genre de l’opéra en tant que pièce chantée de bout en bout, exception faite de Didon et Énée (1683-1684/1689). En effet, en Angleterre la mode était plutôt au masque, et Purcell composait essentiellement de courts intermèdes musicaux comme des ouvertures, des musiques d’entractes, des chansons ou encore des danses pour habiller des pièces de théâtre. Comme d’autres de ses contemporains à l’instar de Matthew Locke, Purcell réfléchit à la manière dont l’Angleterre pouvait se singulariser musicalement dans le paysage européen. Il aspirait à créer un genre opératique national, à l’image de Jean-Baptiste Lully qui faisait briller la cour de Versailles avec la comédie-ballet et la tragédie lyriqueLa tragédie lyrique est un genre musical spécifiquement français, en usage au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, principalement représenté sur la scène de l’Académie royale de musique de Paris, puis diffusé dans les autres villes françaises et étrangères. Elle s’inspire de la tragédie classique illustrée par Corneille et Racine : sur des sujets empruntés à la mythologie ou l’histoire, les cinq actes sont précédés d’une ouverture et d’un prologue faisant l’éloge du roi. Le genre mêle musique (récitatifs déclamés suivant le rythme de la parole, airs, ensembles, chœurs) et danse (ballets)., mais devait aussi répondre au goût prononcé du public pour le théâtre parlé. On comprend mieux dans ce contexte pourquoi The Fairy Queen nous apparaît comme une œuvre si surprenante, les scènes parlées n’étant plus jouées de nos jours.
Troisième et avant-dernier semi-opera de Henry Purcell (1659-1695), The Fairy Queen a été composé pour la Compagnie unie (The United Company) alors à la tête du Dorset Garden, le plus grand théâtre londonien – et le seul – de l’époque ayant les moyens logistiques de faire jouer des spectacles aussi ambitieux. En effet, The Fairy Queen, comme King Arthur (1691) ou Dioclesian (1690), est une œuvre hybride d’envergure (cinq actes) mêlant théâtre parlé, scènes chantées, dansées, et des mouvements de machines offrant au spectateur une expérience visuelle extraordinaire grâce à la transformation continue du plateau du théâtre.
Il s’agit du spectacle le plus cher et extravagant de la décennie avec un budget de 3 000 livres sterling pour rémunérer la centaine d’artistes nécessaire à sa représentation et couvrir les frais matériels. Bien que l’œuvre fût bien reçue, malgré les quelques critiques sur la liberté prise par Purcell dans son adaptation du Songe d’une nuit d’été, ce fut un gouffre financier pour le théâtre dont le revenu annuel oscillait entre 8 000 et 10 000 livres. De fait, la création de spectacles aussi exigeants ne restait qu’occasionnelle, le théâtre préférant faire jouer des pièces plus modestes le reste de la saison.
De la phase d’adaptation de l’œuvre de Shakespeare et de la composition de la partition, on ne sait pas grand-chose. On suppose le texte du livret de la main de Thomas Betterton, alors à la tête de la compagnie du Dorset Garden, et ayant déjà collaboré avec Purcell pour Dioclesian. En revanche, on sait que Purcell révisa sa partition en 1693.
À la mort du compositeur en 1695, la partition originale fut perdue. Souhaitant faire représenter à nouveau la pièce en octobre 1701, le théâtre promit une récompense de 20 guinées à quiconque la retrouverait. Il fallut finalement attendre le début du XXe siècle pour que la partition manuscrite soit retrouvée à la bibliothèque de la Royal Academy of Music à Londres. À ce jour, The Fairy Queen est le seul semi-opera de Purcell dont la partition autographe nous soit parvenue.
Langage musical
Alors que l’intrigue de The Fairy Queen confond les spectateurs les plus aguerris, la musique, elle, brille par ses carrures régulières, ses mélodies harmonieuses et sa prosodiedans la musique vocale : façon de faire coïncider les accents du texte parlé avec ceux de la musique équilibrée.
La variété instrumentale que déploie Purcell au fil de son semi-opera permet un renouveau constant de l’écoute. En effet, Purcell utilise son orchestre comme un réservoir de possibilités. Le continuoLe continuo est l’ensemble des instruments qui réalisent la basse continue, c’est-à-dire les accords accompagnant la mélodie à partir de chiffres notés sur la partition de basse. Le continuo comprend généralement un instrument harmonique (clavecin, orgue, théorbe, luth) auquel s’ajoute souvent un instrument grave à archet (viole, violoncelle). Le rôle du continuo est d’accompagner et de soutenir les autres parties vocales ou instrumentales. tout d’abord regroupe un éventail de timbres du plus brillant (le clavecin) au plus feutré (théorbe et viole de gambe) à même d’accompagner à la fois les scènes chorales de réjouissance et les moments d’introspection et de rêverie. Ensuite, Purcell favorise les formations chambristesformation « de chambre », c’est-à-dire formée d’un petit nombre de musiciens de l’orchestre et choisit avec soin ses instruments solistes de sorte qu’ils se fondent dans l’atmosphère de chaque scène. Hautbois, flûtes à bec, violons entre autres rejoignent à tour de rôle les chanteurs et forment un miroir de leurs passions.
Les voix sont elles aussi très variées. La tessiture d’alto chez l’homme est un choix esthétique alors très en vogue dans les cours d’Europe, notamment grâce aux castrats venus d’Italie. Par ailleurs, la réputation de Purcell comme maître de la prosodie se vérifie une fois de plus dans cette œuvre et le personnage du poète ivre, pour n’en citer qu’un exemple, requiert l’emploi d’un chanteur qui soit également bon acteur. En effet, Purcell ajoute à son ivrogne un bégaiement figurant un état d’ébriété avancé, un effet des plus comiques.
Zoom sur le trio « May the God of Wit inspire » et l’écho de l’acte II
Ce trio pour voix d’alto, ténor et basse se situe au début de l’acte II. Il est interprété par les fées de Titania. Tous se trouvent à l’entrée d’une grotte enchantée décorée de fleurs. Cette chanson (Song dans la partition) peut être vue comme une invocation magique pour que la nature prenne part au bal des fées :
May the God of Wit inspire,
The Sacred Nine to bear a part;
And the Blessed Heavenly Quire,
Shew the utmost of their Art.
While Echo shall in sounds remote
Repeat each note, each note…
Que le Dieu de l’Esprit incite
Les neuf Saintes Muses à chanter leur rôle ;
Et que le chœur céleste
Déploie ses plus parfaits talents ;
Tandis qu’au loin la voix d’Écho
Répète chacune de ses notes, ses notes…
Traduction (par Brigitte Barchasz et Jacques Meunier) tirée du livret du disque de 1989 pour harmonia mundi et Les Arts Florissants.
Purcell met en scène musicalement son air en déployant une variété d’effets. Le premier figuralisme musical qu’il emploie, à la fois efficace et charmant, est l’effet d’écho qu’il obtient par la répétition des derniers mots de la strophe à laquelle il associe trois niveaux sonores : loud (fort) : « Repeat each note » ; soft (doux) « Repeat each note » ; softer (plus doux) « each note ». Cet effet se reporte également sur toute la suite du trio, qui reprend notamment le vers précédent qui évoquait déjà l'écho.
L’effet recherché est doublement appuyé par la reprise musicale de la chanson par un ensemble d’instruments réduit à quelques vents solistes soutenus par la basse continue. En effet, le numéro qui suit est l’illustration musicale (et visuelle !) de l’écho. Dans certaines productions, les trois niveaux sonores sont incarnés par la trompette, le hautbois et la flûte à bec, dont les puissances sonores vont naturellement en décroissant. La structure de l’air et le texte musical sont les mêmes, les effets d’écho commençant cette fois-ci dès la première phrase.
D’autre part, pour tout ce passage chanté et instrumental, Purcell fait des choix d’écriture symboliquement signifiants comme la tonalité de do majeur associée à l’innocence, la naïveté et les réjouissances, et la métrique ternaire (à trois temps) pour évoquer la danse. On notera aussi l’ornementation de la voix supérieure (voix alto d’homme), convention propre à l’esthétique baroque d’habiller les redites et reprises musicales de notes supplémentaires rapides.
Auteure : Nastasia Matignon