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La Valse Maurice Ravel
Carte d’identité de l’oeuvre : La Valse de Maurice Ravel |
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Genre | musique symphonique : poème chorégraphique |
Composition | en 1919-1920 à Lapras (Saint-Basile), en Ardèche |
Dédicataire | Misia Sert |
Création | le 12 décembre 1920 à Paris, par les Concerts Lamoureux sous la direction de Camille Chevillard |
Forme | poème chorégraphique en un seul mouvement |
Instrumentation | bois : 1 piccolo (ou 3e flûte), 2 flûtes, 2 hautbois, 1 cor anglais, 2 clarinettes, 1 clarinette basse, 2 bassons, 1 contrebasson cuivres : 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, 1 tuba percussions : timbales, cymbales, triangle, tambour, grosse caisse, tambour de basque, castagnettes, tam-tam, timbres, crotales cordes pincées : 2 harpes cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses divisées en 3 |
Contexte de composition et de création
Prédispositions : l’obsession de la danse
Ravel est un compositeur intimement lié à la danse ; il en fait une forme obsessionnelle de son univers musical. Il ne se limitera pas en effet à l’écriture de son poème chorégraphiquepoème destiné à être dansé et mis en musique pour orchestre La Valse, mais écrira également les Valses nobles et sentimentales pour piano. On peut citer dans la même veine le célébrissime Bolero.
On peut retenir également trois autres œuvres comme fer de lance de son attrait pour le monde de la danse : la Pavane de la Belle au bois dormant dans Ma mère l’Oye, son Menuet du Tombeau de Couperin ou encore sa symphonie chorégraphique Daphnis et Chloé.
Premières intentions
Dès 1906, Ravel imagine et envisage de créer, en accord avec Serge de Diaghilev (1872-1929), une apothéose de la valse
, en hommage au compositeur Johann Strauss (1804-1849), universellement connu pour ses valses. La Première Guerre mondiale éclate huit ans plus tard et l’oblige à reporter ses projets d’écriture. La guerre et ses conséquences désastreuses viennent exacerber le contraste et la fracture entre la tradition de cour viennoise du XIXe siècle et la barbarie du monde actuel. La nouvelle perception du compositeur va changer son projet initial. Selon sa propre expression, il va composer un tournoiement fantastique et fatal
citation extraite de Esquisse autobiographique. Tout est dit : grandeur, décadence, destruction et spirale infernale de la civilisation.
Ravel confère beaucoup de pouvoir à la musique : La musique peut tout entreprendre, tout oser et tout peindre, pourvu qu’elle charme et reste enfin, et toujours, de la musique.
(extrait de Esquisse autobiographique)
Réception de l’œuvre : les points de vue de Diaghilev et de Stravinski
L’œuvre est finalement créée et présentée en 1920 devant Diaghilev, Poulenccompositeur et pianiste français né en 1899 et mort en 1963 et Stravinski, dans une version pour piano. À l’audition de cette œuvre, Diaghilev refuse de représenter La Valse avec les Ballets russes. L’explication ? Ravel, c’est un chef d’œuvre, mais ce n’est pas un ballet. C’est la peinture d’un ballet.
Stravinski, quant à lui, restera muet face à cette querelle et Ravel ne lui pardonnera pas. Leur relation, jusque là amicale, se résumera désormais à des échanges professionnels. C’est Ida Rubinstein (commanditaire du Bolero) qui parviendra à la chorégraphier.
Dédicataire, versions existantes de l’œuvre
Ce poème chorégraphique pour orchestre est dédié à une amie de Ravel, Misia Sert, pianiste et égérie de nombreux peintres, poètes et musiciens du début du XXesiècle. L’œuvre est composée en Ardèche chez son ami André-Ferdinand Héroldécrivain français, 1865-1940 chez qui il restera pendant les années 1919 et 1920. La version de base est écrite pour piano seul. Elle est déclinée en une version pour deux pianos et une version pour orchestre.
Déroulé de l’œuvre et caractéristiques des thèmes
Argument de La Valse, noté en tête de partition
Des nuées tourbillonnantes laissent entrevoir, par éclaircies, des couples de valseurs. Elles se dissipent peu à peu : on distingue une immense salle peuplée d’une foule tournoyante. La scène s’éclaire progressivement. La lumière des lustres éclate au fortissimo.
Une Cour impériale, vers 1855.
Déroulé de l’œuvre
L’œuvre est un tour de force orchestral, conçu comme une vaste progression qui fait alterner de nombreux moments très contrastés par leurs caractères ou par leurs écritures. Tout ceci aboutit à une apothéose finale frénétique et délirante. Si l’on choisit de diviser l’œuvre en deux grandes parties, la citation précédente illustre parfaitement la première d’entre elles. La seconde se montrera beaucoup plus tourmentée, « déréglée » et obsessionnelle.
1ère partie
L’œuvre s’ouvre sur une introduction mystérieuse, lointaine et énigmatique (contrebasses et violoncelles + motifs au basson).
De celle-ci va progressivement émerger un thème (aux cordes) qui structure une première valse, de caractère joyeux, dansant et tourbillonnant.
S’ensuit une deuxième valse, plus légère et chantante entonnée par le hautbois.
Rebondissement dans le discours par l’apparition des cuivres et des percussions qui donnent un nouveau regain.
Des lignes chromatiques se succèdent à différents instruments (effets de couleur intéressants) pour déboucher sur un nouveau moment coloré par le hautbois et la clarinette en alternance. Une grande descente amorcée par le piccolo se transmet progressivement à tous les instruments, jusqu’aux plus graves par un jeu de mélodie de timbre.
Les cordes graves reprennent un thème, puis le discours s’agite, atteint un paroxysme et se retrouve suspendu…
2e partie
On retrouve soudain le climat sombre du début, beaucoup plus menaçant et très contrastant avec ce que l’on vient d’entendre. De là s’enchaînent de multiples idées musicales, prises dans un flot musical incessant et inéluctable. Ravel utilise toute la palette orchestrale pour créer des rebonds, pour redynamiser toujours et encore son discours musical. La fin est retentissante et illustre l’idée d’une machine de guerre lancée, qu’on ne peut plus arrêter. À grands renforts de percussions, l’orchestre atteint une frénésie inimaginable. Le dernier accord nous laisse ébahis et essoufflés à la suite de cette course effrénée. Tout s’arrête net. Le silence nous laisse abasourdis, hébétés par tant de violence et de tragédie. La valse, à l’image de toute une civilisation romantique, s’est auto-détruite et nous a plongés dans le néant.
Suggestions d’écoute
- D’autres œuvres de Ravel faisant référence à la danse
- Bolero
- Valses nobles et sentimentales, où Ravel réinvente le langage musical de la valse, très éloigné du stéréotype de la valse viennoise.
- La Malagueña de la Rapsodie espagnole
- La Pavane de la Belle au bois dormant de Ma Mère l’Oye
- Le Tombeau de Couperin, où Ravel fait référence à des danses du passé en hommage à la musique française du XVIIIe siècle (exemple : la Forlane ou le Rigaudon).
- Daphnis et Chloé - Des danses d’autres compositeurs
- Frédéric Chopin : Valses
- Carl Maria von Weber : Invitation à la valse
- Johann Strauss : Le Beau Danube bleu
- Georges Bizet : la Habanera de Carmen
- Astor Piazzolla : Libertango
Auteure : Anne Thunière