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Bolero Maurice Ravel
Carte d’identité de l’œuvre : Bolero de Maurice Ravel |
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Genre | ballet |
Commanditaire | Ida Rubinstein |
Composition | de juillet à octobre 1928, à Saint-Jean-de-Luz et à Paris |
Création | version ballet : le 22 novembre 1928 à l’Opéra de Paris, par Ida Rubinstein sur une chorégraphie de Bronislava Nijinska et sous la direction de Walther Straram version de concert : le 14 novembre 1929 au Carnegie Hall de New York, par le New York Philharmonic sous la direction d’Arturo Toscanini (première européenne : le 11 janvier 1930 à la salle Gaveau à Paris, par les Concerts Lamoureux sous la direction de Maurice Ravel) |
Forme | œuvre orchestrale en un seul mouvement |
Instrumentation | bois : 1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois (le 2e prenant le hautbois d’amour), 1 cor anglais, 2 clarinettes, 1 petite clarinette, 1 clarinette basse, 2 bassons, 1 contrebasson, 1 saxophone sopranino, 1 saxophone soprano, 1 saxophone ténor cuivres : 4 cors, 4 trompettes, 3 trombones, 1 tuba percussions : timbales, caisse claire, grosse caisse, cymbales, tam-tam, célesta cordes pincées : 1 harpe cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Contexte de composition et de création
Le Bolero de Maurice Ravel figure parmi les œuvres orchestrales les plus populaires et les plus jouées au monde. Phénomène musical, ce chef-d’œuvre est longtemps resté à la première place du classement mondial des droits d’auteur jusqu’en 1993. Encore aujourd’hui, il reste une des œuvres musicales françaises les plus exportées.
Ida RubinsteinIda Rubinstein (1885-1960) est une danseuse russe qui s’est produite avec les Ballets russes à plusieurs reprises, de 1909 à 1911. Grande mécène par la suite, elle commande des œuvres à différents artistes tout en continuant de se produire sur scène., amie et mécène du musicien, commande au compositeur, déjà célèbre, un ballet à caractère espagnol. Ravel pense dans un premier temps orchestrer des pièces d’Isaac Albeniz. Mais finalement, il choisit de composer une œuvre constituée d’un thème et d’un contre-thème, basée sur un crescendo orchestral ininterrompu. Éternel amoureux de la danse et de l’Espagne, Ravel choisit le rythme du boléro, une danse traditionnelle andalouse, comme pilier de son œuvreEn 1928, sur la demande de Madame Rubinstein, j’ai composé un boléro pour orchestre. C’est une danse d’un mouvement très modéré et constamment uniforme, tant par la mélodie que par l’harmonie et le rythme, ce dernier marqué sans cesse par le tambour. Le seul élément de diversité y est apporté par le crescendo orchestral.
. La mélodie est composée à Saint-Jean-de-Luz, un matin, au piano, avant que le compositeur ne parte nager.
L’œuvre est créée le 22 novembre 1928 à l’Opéra de Paris dans sa version ballet, avec Walther Straram à la baguette. La chorégraphie de Bronislava Nijinska suit la progression en crescendo de la musique : Dans une auberge espagnole, une gitane, debout sur une table, danse seule d’abord. Puis, l’ivresse du rythme qu’elle déchaîne se transmet à ses clients. Un homme saute au milieu de la table et danse à son tour, suivi par tous les autres. Le rythme de la musique est ponctué par leurs cris, leurs bagarres, leurs appels et leurs provocations. À la fin, les hommes s’emparent de la danseuse qu’ils soulèvent au-dessus d’eux en guise de proie.
(argument du Bolerocité dans La Musique de ballet en France de la Belle Époque aux Années folles de Manfred Kelkel, p. 235)
Après la création de la version de concert à New-York le 14 novembre 1929, la première européenne a lieu salle Gaveau à Paris, le 11 janvier 1930 par les Concerts Lamoureux, sous la direction de Ravel en personne. Le Bolero rencontre un très vif succès, au grand étonnement de Ravel, et devient rapidement célèbre. Indépendamment du ballet, cette version concert trouve son autonomie et s’inscrit parmi les œuvres les plus célèbres de la musique classique. Souvent considéré comme un modèle d’orchestration, le compositeur dira pourtant de son chef-d’œuvre : Je voudrais surtout qu’il n’y ait pas de malentendu sur ce travail. Il s’agit d’une expérience d’un type très particulier. Avant sa première représentation, j’avais prévenu que ce morceau de dix-sept minutes n’était constitué que d’un unique et long crescendo ininterrompu. Il n’y a pas de contrastes, et pratiquement pas d’innovation à l’exception de la structure et du mode d’exécution… l’écriture orchestrale est simple et directe du début à la fin, sans la moindre recherche de virtuosité.
Une anecdote mettant en scène le célèbre Toscanini reste bien connue : en mai 1930, le chef d’orchestre italien joua l’œuvre deux fois plus vite que ne le souhaitait le compositeur présent dans la salle. Ce dernier refusa d’aller lui serrer la main. Toscanini déclara alors à Ravel : Vous ne comprenez rien à votre musique. Elle sera sans effet si je ne la joue pas à ma manière.
Ce à quoi Ravel aurait répondu : Alors, ne la jouez pas !
Déroulé de l’oeuvre
L’œuvre est entièrement basée sur le rythme du boléro joué par la caisse claire tout au long de la pièce. Cet ostinato - répété 169 fois ! - donne au Bolero son rythme uniforme et invariable.
Ravel utilise deux mélodies, deux thèmes de même longueur, qu’il répète et alterne. Chaque transition entre les deux mélodies (ou leur répétition) fait entendre la ritournelle rythmique utilisée pour introduire et pour conclure l’œuvre. Pour éviter la monotonie, Ravel procède à un long crescendo ininterrompu : crescendo de nuances (on commence pp (pianissimo) et on finit ff (fortissimo)) et crescendo par accumulation d’instruments (ou crescendo orchestral : les instruments entrent les uns après les autres, étoffant progressivement l’effectif instrumental). L’utilisation originale de certains instruments solistes ainsi que des combinaisons instrumentales créent un jeu de timbres qui donnent à l’œuvre toute sa saveur et l’impression d’un renouvellement continu.
Après la ritournelle d’introduction, le premier thème, en Do Majeur, se fait entendre d’abord à la flûte puis à la clarinette. Cette première mélodie se caractérise par sa grande souplesse et ses longues lignes aux intervalles conjoints.
Le deuxième thème, exposé au basson puis à la petite clarinette, se caractérise par son côté jazzy plus dansant et son exotisme.
La deuxième occurrence du premier thème est jouée par le hautbois d’amourInstrument essentiellement utilisé pendant la période baroque, il tombe en désuétude pendant les périodes classique et romantique avant de connaître un regain d’intérêt fin du XIXe - début XXe., puis la trompette en sourdine doublée par la flûte à l’octave supérieure. C’est la première doublure du thème, qui était jusque-là joué par un seul instrument.
La deuxième occurrence du second thème est jouée par les saxophones : saxophone ténor, puis saxophone sopranino. Ce n’est pas la première fois que Ravel utilise le saxophone (alors peu présent dans les orchestres classiques) à qui il avait déjà confié une partie soliste dans son orchestration des Tableaux d’une exposition de Moussorgski.
À la troisième occurrence des thèmes, l’orchestre continue de s’étoffer, aussi bien dans la mélodie que dans l’accompagnement, tandis que les nuances progressent (l’accompagnement joue désormais mfmezzo-forte, entre piano et forte).
Le premier thème est d’abord joué au célesta et au cor. Les petites flûtes doublent le thème dans le ton de la tierce (Mi Majeur) et de la quinte (Sol Majeur). Cette superposition de tonalités crée un effet étrange, presque grinçant. La répétition voit encore le nombre d’instruments augmenter : hautbois, cor anglais, clarinettes, ainsi que le hautbois d’amour (dans le ton de la quinte).
Le second thème retrouve temporairement la simplicité d’un instrument soliste, le trombone, qui use de glissando accentuant le côté jazzy. Mais la répétition reprend le crescendo orchestral avec l’intervention de presque la totalité des bois, le tout dans la nuance forte.
Jusque-là, on remarque la prédominance et la variété des instruments à vent qui (à part le célesta) sont les seuls à jouer le thème.
Enfin, les violons entrent en jeu dans la quatrième occurrence : ils apportent un timbre nouveau et une nouvelle force orchestrale par la densité de leur pupitre (contrairement aux vents qui étaient presque toujours solistes). Ils sont doublés par une partie des bois. La trompette puis les trombones les rejoignent lors du second thème, ainsi que les altos et violoncelles.
La cinquième occurrence est plus courte : les thèmes ne sont pas répétés. Cette fois, l’orchestre est au complet, nuance ff. Le second thème est tronqué par une surprenante et lumineuse modulation en Mi Majeur qui vient, une nouvelle fois, rompre la monotonie. Puis le ton initial de Do revient pour conclure la pièce sur une ultime ritournelle, un grand accord dissonant et une chute finale, qui n’est pas sans rappeler la fin tragique de La Valse.
Auteur : Jean-Marc Goossens