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La mer dans les arts et en musique (1830-1920)
La mer, sujet récurrent dans l’art, est traitée de différentes manières selon les époques. Au début du XIXe siècle, les premiers élans du romantisme vont bouleverser la vision qu’en ont les artistes. Source d’inspiration dans tous les domaines, aussi bien pictural que littéraire ou musical, elle devient le reflet de l’âme du romantique : tantôt violente et passionnée, tantôt mélancolique et rêveuse. Au fil du siècle, ses représentations prendront des formes variées suivant les courants artistiques qui se suivent ou coexistent.
La mer dans la littérature
Les Travailleurs de la mer (1864) de Victor Hugo (auquel l’auteur joint un ensemble de trente-six de ses propres dessins) est un exemple type de la mer romantique. Ode à l’île de Guernesey où l’auteur a trouvé refuge, le roman décrit la lutte du héros avec la mer, à la fois fascinante et dangereuse, élément d’une nature hostile décrite comme une fatalité qui enveloppe l’homme
. Hugo s’insère ici dans la veine des écrivains voyageurs et des romans d’aventures maritimes, auxquels s’ajoute souvent une dimension scientifique inspirée par les découvertes de l’époque : La Mer (1861) de Jules Michelet ainsi que les « Voyages extraordinaires » de Jules Verne (Les Enfants du capitaine Grant, 1868 ; Vingt Mille Lieues sous les mers, 1871 ; Un capitaine de quinze ans, 1878…), ou encore Pêcheur d’Islande (1886) de Pierre Loti pour la littérature française ; Herman Melville (Moby Dick, 1851), Robert Louis Stevenson, ou encore Jack London (Le Loup des mers, 1904 ; Les Mutinés de l’Elseneur, 1914) chez les auteurs anglophones.
Mais le lyrisme du romantisme finit par s’essouffler. Les auteurs s’orientent alors vers plus d’objectivité, vers une littérature privilégiant l’observation et la description : les mouvements réalistes et naturalistes cherchent ainsi à exprimer fidèlement la réalité. La mer trouve peu sa place dans ces deux derniers courants, dont les œuvres sont souvent une peinture sociale qui s’attache aux êtres humains plutôt qu’à la nature.
En réaction à la description purement objective, le symbolisme (dont l’origine peut se situer dans Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, 1857) utilise des images, des métaphores, pour décrire une réalité invisible, abstraite. Contre les certitudes matérialistes et scientifiques, les auteurs suggèrent plutôt que d’offrir une explication logique. Parmi les thèmes favoris que sont le rêve, la mort et le mystère, l’univers et la nature, propres à développer l’imaginaire, trouvent une place de choix. La mer n’est pas en reste dans les œuvres de Baudelaire (L’Homme et la Mer dans Les Fleurs du Mal), Stéphane Mallarmé (Brise marine, 1865), Arthur Rimbaud (Le Bateau ivre, 1871), Saint-Pol-Roux (Litanies de la Mer, texte daté de 1899)…
La mer dans la peinture
Dans la peinture romantique, le paysage prend une grande importance. Longtemps considérée comme simple décor tributaire des scènes maritimes représentées (scènes portuaires, batailles navales, scènes mythologiques faisant intervenir des divinités marines…), la mer est désormais traitée comme un élément à part entière, se suffisant à elle-même. Elle se fait tantôt le miroir de l’infini dans lequel l’artiste romantique se contemple (Deux Hommes au bord de le mer [1] (voir carrousel) de Caspar David Friedrich, vers 1817 ; La Mer à Dieppe [2] d’Eugène Delacroix, vers 1852), tantôt un élément hostile, déchaîné et parfois mortel (L’Épave ou encore Le Radeau de la Méduse [3] de Théodore Géricault, 1818-1820 ; La Mer de glace [4] de Friedrich, 1823-1824 ; Naufrage à la côte [5] de Delacroix, 1862). Les œuvres lumineuses de William Turner (Le Négrier [6], 1840 ; Lever de soleil avec monstres marins [7], 1845) anticipent déjà les tableaux impressionnistes.
Tout comme en littérature, les artistes recherchent progressivement une approche plus moderne et plus réaliste de l’art. Dès 1850, le réalisme de Gustave Courbet s’éloigne de l’imaginaire romantique pour s’attacher à peindre la réalité brute qui l’entoure, aussi bien dans ses représentations de la vie rurale que dans ses paysages (La Mer orageuse [8], 1870). En parallèle, certains artistes vont rechercher une peinture plus subjective, rendant compte d’une impression personnelle. Tout en choisissant des thèmes contemporains, quittant leur atelier pour peindre directement à l’extérieur, ces impressionnistes captent la lumière dont ils rendent les effets dans leurs toiles et travaillent sur les couleurs, mises en avant au détriment de la forme et des lignes qui s’effacent (les nombreuses œuvres de Claude Monet comme Impression, soleil levant [9] (1872), Matin brumeux à Pourville [10] (1882) ; Les Îles d’Or [11] du néo-impressionniste Henri-Edmond Cross, 1891-1892).
À partir des années 1880, le symbolisme, à l’image de son pendant littéraire, cherche refuge dans l’imaginaire et le rêve. Le paysage, thème récurrent, et la mer en particulier deviennent le prétexte à des scènes mystiques, parfois d’inspiration mythologique ou légendaire (Odysseus et Polyphemus [12] d’Arnold Böcklin, 1896 ; Attersee [13] de Gustav Klimt, 1900 ; Nuages en fleurs [14] de Odilon Redon, vers 1903). Au sein de ce mouvement, les Nabis recherchent une nouvelle spiritualité nourrie d’inspirations venues d’Orient et du Japon (Marine bleue, effet de vague [15] de Georges Lacombe, vers 1893), où la mer est par ailleurs souvent présente, notamment dans les estampes japonaises (La Grande Vague de Kanagawa de Hokusai, 1830).
Au tout début du XXe, le fauvisme laisse exploser la palette de couleurs : aux nuances douces des impressionnistes, les artistes préfèrent les tons vifs et éclatants, utilisés sur de larges aplats et non plus en petites touches. La mer se pare de couleurs intenses dans les peintures d’André Derain (Bateaux dans le port de Collioure, 1905), Jean Metzinger (Bord de mer, vers 1905), Albert Marquet (Le Pyla [16], 1935).
La mer dans la musique
Contrairement à l’art fixe qu’est la peinture, la dimension temporelle de la musique permet de rendre plus facilement le mouvement de l’eau et des vagues, depuis la mer étale jusqu’à la violence des tempêtes. À l’époque romantique, le développement de l’orchestre symphonique (dans sa taille et dans la variété de ses instruments) se prête tout particulièrement à l’évocation de la puissance et de la profondeur de la mer. De nombreuses pièces de musique symphonique (ouverture, symphonie, poème symphonique…) s’emparent ainsi du thème.
En 1830, Mendelssohn compose son ouverture Les Hébrides, inspirée par la grotte de Fingal en Écosse. Le musicologue Marc Vignal voit dans cette pièce le premier grand tableau marin de la musique romantique
. Mendelssohn y traduit le mouvement de la mer par des motifs ondulants aux cordes. Le flux et le reflux des vagues qui viennent se briser sur les rochers sont figurés par de grandes gammes ascendantes en soufflet (crescendo-decrescendo), accompagnées de roulements de timbales.
Les œuvres suivantes reprendront pour beaucoup les mêmes stéréotypes orchestraux pour figurer la mer : des motifs ondulants et des lignes mélodiques qui oscillent, souvent donnés aux cordes graves et opposés aux interventions cristallines et virevoltantes des bois évoquant le vent. Ces figuralismes irriguent la Symphonie n° 2 « Océan » de Rubinstein (1851), ainsi que la suite symphonique Shéhérazade de Rimski-Korsakov (1888). Ce dernier reprend les roulements de timbales pour traduire le fracas des vagues, auxquels s’ajoutent tout un ensemble de percussions (cymbales, grosse caisse...) lorsque le navire se brise sur les rochers. Influencé par son aîné, Glazounov fait un usage similaire des percussions dans son poème symphonique La Mer (1889). Beaucoup de pièces s’inspirent d’un argument littéraire : Les Mille et Une Nuits pour Rimski-Korsakov, un poème d’Eddy Levis pour La Mer de Paul Gilson…
Avec La Mer (1905) de Debussy, l’évocation de l’élément marin prend une forme nouvelle. L’écriture musicale ne se limite plus à l’utilisation de motifs mélodiques ou rythmiques pour figurer seulement le mouvement de la mer. En effet, dans ces esquisses symphoniques, Debussy s’attache également à traduire une atmosphère, une impression. Même s’il a toujours refusé d’être qualifié d’impressionniste, le compositeur se rapproche de ce courant par certains points : à l’image des peintres impressionnistes avec leur palette de couleurs, Debussy joue avec les timbres des instruments qu’il emploie de manière soliste, en utilisant certaines techniques de jeu (trémolos des cordes, jeu en harmoniques, jeu sur la touche…) ou d’orchestration (cors avec sourdine, pupitres des cordes divisés...). Il indique même parfois explicitement sur la partition l’effet désiré (« en dehors », « très doux »…). La richesse et l’ingéniosité de son écriture orchestrale lui permettent ainsi de rendre des effets de lumière, à l’image du premier mouvement, De l’aube à midi sur la mer, évoquant le lever du soleil. Les formes s’estompent, les harmonies, subtiles et suggestives, glissent des unes aux autres et créent des transitions fines tout en douceur.
Les compositeurs suivants se souviendront du traitement de l’orchestre chez Debussy et de son jeu avec les timbres des instruments : Frank Bridge dans sa suite orchestrale The Sea (1911), Sibelius dans son poème symphonique Les Océanides (1914), Vincent d’Indy dans le Poème des rivages (1919) puis le Diptyque méditerranéen (1925).
La mer se fait parfois le décor de certains opéras (Le Hollandais volant de Wagner) et l’eau envahit également les compositions pour piano : Les Jeux d’eau à la villa d’Este de Liszt, Jeux d’eau et Une barque sur l’océan de Ravel, L’Isle joyeuse et Ce qu’a vu le vent d’ouest (extrait du premier livre des Préludes) de Debussy. Dans ces pièces pour piano, les compositeurs figurent le scintillement de l’eau par des trémolos ou des motifs répétés de notes très rapides, souvent dans le registre aigu de l’instrument.
Pour aller plus loin
Dès les débuts du cinéma, les réalisateurs s’emparent du thème de la mer et de la pêche. Ils sont nombreux à placer l’élément marin au centre de leurs œuvres cinématographiques, qu’elles soient fictions ou films documentaires : Georges Méliès dans Vingt Mille Lieues sous les mers (1907), Robert Flaherty dans Nanouk l'Esquimau (1922), Henri Storck dans Images d'Ostende (1929), Jean Epstein dans Finis terrae (1929) et L’Or des mers (1932)...
Auteure : Floriane Goubault
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Morceaux choisis : la mer
Une sélection par le détail d’œuvres du Musée de la musique sur le thème de la mer.