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Un peu d’histoire autour de la musique noire-américaine
La condition noire aux États-Unis : l’esclavage et la ségrégation
La naissance de l’esclavage aux États-Unis
La découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb en 1492 a été l’occasion pour les pays européensEspagne, Portugal, Grande-Bretagne, France, Hollande d’étendre leur politique coloniale en investissant des terres encore vierges. Mais cela nécessite de trouver une main-d’œuvre peu coûteuse et rentable. Recrutant des travailleurs bon marché parmi la population africaine, des marchands d’esclaves échangent le « bois d’ébène »surnom donné aux cargaisons d’esclaves en Amérique contre du café, du tabac, du sucre ou encore du coton qu’ils écoulent ensuite sur le marché européen. C’est ce qu’on appelle le commerce triangulaire.
Arrachés à leurs terres d’origines, les esclaves sont dispersés dès leur chargement sur les bateaux pour renforcer l’idée d’acculturation et favoriser leur perte de repères. Déportés en terre étrangère, ils sont destinés à être domestiques ou à exercer des travaux agricoles. Exposés puis vendus, ils sont conduits vers les plantations de leurs propriétaires.
Les premiers Africains arrivent en Amérique en 1679, en Virginie. En 1750, deux cent mille esclaves sont répartis dans les plantations du Sud où toute l’économie de l’esclavage est concentrée. Au fil des années, les besoins des propriétaires augmentent, entraînant une croissance des exploitations et du rendement toujours plus importante. Alors que l’on compte quinze millions d’esclaves noirs sur le continent américain, près de deux millions meurent durant les trajets en bateau.
En 1815, le Congrès de Vienne condamne le traitement des Noirs. Une réelle scission s’opère entre le nord des États-Unis, dont l’opinion anti-esclavagiste s’accroît progressivement, et le sud, où la ségrégationséparation physique ou discrimination au sein d’un même pays entre des populations différenciées par la couleur de leur peau se développe. En 1860, le candidat républicain Abraham Lincoln est élu président. L’opposition du Nord et du Sud aboutit à la Guerre de Sécession en 1861, qui s’achève, en 1865, par la victoire des états du Nord. L’abolition de l’esclavage est alors proclamée.
L’héritage musical de l’esclavage
Différents chants témoignent de la condition des esclaves africains sur le sol américain, où la musique incarne à elle seule un refuge pour ces populations :
- Les work songschants de travail. Ce sont des chants a cappellauniquement chantés, donc sans accompagnement d’instruments interprétés essentiellement dans les champs de coton. Dans une recherche d’harmonie et d’unité, ils accompagnent le mouvement et l’effort des esclaves. Échanges d’appels et de réponses entre un soliste et le reste du groupe en chœur, ces chants, construits sur des rythmes scandés et répétitifs, emploient des paroles éloignées de l’activité des esclaves pour soutenir l’effort tout en tentant d’oublier le travail forcé.
- Les field hollersdans les champs ou street hollersdans la rue. Plus concis et agressifs que les work songs, ces chants se composent essentiellement de cris de rassemblement.
- Les spirituals, gospels et blues. Ils représentent, par la suite, l’héritage musical de ce peuple tant bafoué. Le jazz naît plus tard, du mélange du ragtime pianistique et de ces chants noirs-américains.
La Nouvelle-Orléans
Naissance de La Nouvelle-Orléans
Créée en 1718 par les Français, La Nouvelle-Orléans, capitale de la Louisiane, est vendue aux États-Unis le 2 mai 1803. Située au bord du Mississipi, elle s’affirme comme une véritable terre d’accueil en s’ouvrant à des populations originaires de tout horizon. Européens, Créoles venus d’Haïti, et esclaves noirs se regroupent dans cette ville pour former une des populations les plus éclectique et féconde des États-Unis. Malgré les nombreux échanges entre les populations, une hiérarchisation est opérée selon la couleur de peau et l’origine sociale. En 1816, les premières lois ségrégationnistes sont votées et appliquées avec souplesse jusqu’en 1894, où une nouvelle loi durcit considérablement les conditions des populations métissées. Les Créoles sont contraints de quitter le centre ville et rejoignent la population africaine logée dans les quartiers périphériques qui lui sont attribués.
Un brassage culturel
La cohabitation de populations diverses génère une multiplication des styles musicaux. La rivalité entre les Créoles et les Noirs trouve un écho dans le monde musical : les Créoles, ayant bénéficié d’une éducation musicale, poursuivent une tradition occidentale en s’adonnant à l’opéra et à la musique de chambre, alors que les Africains, pour la plupart autodidactes, jouent du cornet, de la trompette, du trombone et autres pour interpréter le répertoire des brass bandsorchestres de cuivres, fanfares dont la polyphonie empreinte de blues donne naissance à un langage original. Même si nous ne pouvons encore parler de jazz au XIXe siècle, une véritable musique afro-américaine voit le jour.
Les rues de La Nouvelle-Orléans, semées de bars et boîtes de nuit, témoignent de la tradition festive dans laquelle est ancrée la ville. Sous le signe du sud et du soleil, La Nouvelle-Orléans encourage naturellement les musiciens à jouer en extérieur. Les orchestres de plein air accompagnent des cérémonies variées et rythment la vie musicale de la ville.
Le berceau du jazz
La vie musicale de La Nouvelle-Orléans signe la préhistoire du jazz avec l’émergence des premières stars du genre, telles que les cornettistes africains Buddy Bolden (1877-1931), King Oliver (1885-1928) ou encore Louis Armstrong (1901-1971). Les Créoles s’imposent davantage du côté des bois avec notamment le clarinettiste Sydnet Bechet (1897-1959). Cependant, c’est un orchestre blanc, l’Original Dixieland Jazz Band, qui enregistre le premier disque de jazz le 26 février 1917. Cette année-là marque la migration de la musique New Orleans vers les métropoles du nord telles que Chicago et New York.
Miles Davis ou « To be white »
Malgré l’abolition de l’esclavage, la ségrégation est toujours présente au XXe siècle. Aussi, la question raciale traverse l’ensemble de la carrière du jazzman : le trompettiste refuse d’être considéré uniquement selon la couleur de sa peau. Élevé par un père fier des valeurs raciales et une mère prônant l’intégration dans la société blanche, Miles s’est toujours situé au croisement des deux cultures. Ayant collaboré avec des musiciens blancs tels que Gil Evans et Bill Evans, il est toujours resté lié aux racines de la musique noire, notamment en marquant de son empreinte le hard bop ou encore l’afro funk. Sa carrière est ainsi définie par une ambivalence : demeurant attaché à la musique noire, Miles n’a jamais souhaité s’y cloisonner. Son approche du cool jazz ou du rock jazz atteste de cette volonté.
Cependant, Miles Davis a souffert du racisme tout au long de sa carrière. Alors que la baronne Pannonicaprotectrice des jazzmen de l’époque lui demande son vœu le plus cher, ce dernier lui rétorque avec une pointe de cynisme : « to be white » « être blanc ». Cette réponse met l’accent sur la difficulté d’être noir aux États-Unis encore à cette époque.
Auteure : Agathe Dignac